Borgia
dit alors le comte Alma, la vérité est très simple : j’ai été attiré hors de Monteforte, en un véritable guet-apens. Et si vous me revoyez parmi vous, c’est que je dois la vie à M. le chevalier de Ragastens.
Tous les regards se portèrent vers le chevalier.
– J’ai eu un tort, reprit le comte. J’ai consenti à recevoir secrètement deux émissaires d’Alexandre VI et de César. Ces deux hommes sont venus me proposer la trahison. Si je ne les ai pas fait arrêter, si j’ai contenu mon indignation, c’est que j’ai espéré, en feignant de me livrer, obtenir des renseignements précieux… Il est arrivé que ces misérables ont deviné ma pensée et ma tactique. Ils ont alors résolu de s’emparer de moi… Ils m’ont donné rendez-vous hors la ville : ils n’étaient que deux. J’ai pensé que je n’avais rien à redouter et qu’il était inutile de donner l’éveil en me faisant accompagner… Hélas messieurs… j’avais compté sans la force de l’un des deux envoyés… le baron Astorre. J’ai été saisi, malgré ma défense désespérée. J’ai été entraîné, lié sur mon cheval… Alors a commencé dans la nuit une course vertigineuse… Enfin, mes geôliers ont jugé qu’ils étaient assez loin de Monteforte pour pouvoir s’arrêter dans une auberge. Un bienheureux hasard a voulu que le chevalier de Ragastens se soit trouvé là. Il a compris ma situation et a attaqué le baron Astorre, qu’il a mis à mal, ainsi que son séide, un moine, nommé Garconio. Après m’avoir délivré, le chevalier a bien voulu m’escorter jusqu’à Monteforte. Voilà, messieurs, ce qui s’est passé.
Débité d’une voix très calme, avec une sorte de dignité douloureuse, ce récit fit sur tous ceux qui l’entendirent l’effet qu’il devait produire. L’impression générale fut traduite par le prince Manfredi, qui s’inclina devant le comte :
– Altesse, nous sommes coupables…
– Eh ! non, s’écria le comte, les apparences étaient contre moi. Vous avez agi comme j’eusse agi à votre place. Messieurs, si vous tenez à m’être agréables, ne parlons plus de cette odieuse aventure.
– Cependant, comte, des décisions ont été prises en votre absence… des chefs désignés…
– Que chacun conserve les attributions qui lui ont été confiées, fit gaiement le comte, enchanté au fond de trouver la besogne toute faite.
– Il ne reste donc plus, dit le prince Manfredi, qu’à faire publier par les hérauts la reprise du pouvoir par Son Altesse le comte Alma, injustement soupçonné.
À ce moment, la voix de Malatesta s’éleva à nouveau.
– Je tiens pour exact ce que Son Altesse nous a raconté, dit-il. Toutes les circonstances concordent admirablement pour établir la vérité de son récit. Cependant, messieurs, il est un dernier point sur lequel je veux appeler votre attention. Son Altesse le comte Alma a été ramenée ici par M. le chevalier de Ragastens.
Malatesta appuya sur le mot ramené. Il y avait là une intention si évidente que le comte frémit et que Ragastens, arraché à ses pensées, regarda fixement celui qui venait de parler.
Jean Malatesta reprit tout à coup :
– Messieurs, c’est la deuxième fois que nous nous rencontrons avec M. le chevalier de Ragastens… La première fois, c’était dans les catacombes de Rome… et le chevalier nous avoua alors, que dis-je, il proclama qu’il appartenait à César Borgia ! N’est-il pas étrange, en vérité, que le comte Alma, sorti de Monteforte pour aller retrouver deux espions des Borgia, rentre dans sa capitale avec un autre espion de ces mêmes Borgia ?
À ces mots, Primevère devint affreusement pâle. Le comte, déjà prêt à abandonner Ragastens, murmura :
– Messieurs, je jure… que j’ignorais…
Ragastens, sous la sanglante insulte, s’était ramassé comme pour bondir. Soudain, il parut se raviser. Ses traits contractés se détendirent ; un sourire de mépris sur les lèvres, d’une voix mordante il répondit :
– Le seigneur Malatesta veut sans doute gagner trois mille ducats d’or frappés à l’effigie d’Alexandre Borgia !
Malatesta porta la main à son poignard.
– Expliquez-vous, gronda-t-il. Expliquez-vous sur l’heure, ou je jure que vous êtes mort !
– Vous avez tort de jurer, fit Ragastens en se croisant les bras avec dédain. Quant à m’expliquer, je le fais parce que je le veux, et non parce que vous paraissez le
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