Borgia
souhaiter si fort. Messieurs, je vous fais juges. Notre Saint-Père Alexandre VI, d’accord avec son digne fils, César, a mis ma tête à prix parce que je refusais de me prêter à certaine combinaison contre la ville de Monteforte. Ma tête a été estimée trois mille ducats, messieurs. C’est beaucoup, je le sais, et ma modestie souffre certainement du haut prix que l’on attache, à Rome, à ma capture. Or, messieurs, en accompagnant le comte Alma dans Monteforte, ville libre non soumise aux Borgia, ville que je n’avais pas voulu contribuer à asservir, j’espérais échapper aux estafiers qui ont été lancés sur ma piste. Le seigneur Jean Malatesta, en m’insultant, m’oblige à sortir de Monteforte, il me refuse l’hospitalité que tout gentilhomme italien se ferait un devoir d’accorder au proscrit que je suis. Je dis que le seigneur Malatesta me livre à Borgia et qu’il a droit à la prime de trois mille ducats. Il l’aura bien gagnée !
Le petit discours de Ragastens était d’une prodigieuse habileté. D’abord, il renseignait Primevère, et c’était à quoi le chevalier tenait le plus. Ensuite, il lui conquérait d’emblée la sympathie et l’estime de ses auditeurs. Enfin, il répondait à l’insulte de Jean Malatesta par une insulte plus sanglante.
Une fugitive flamme d’orgueil empourpra le visage de Primevère. Ragastens ne la vit pas. Mais Malatesta la vit, lui ! Il s’avança sur le chevalier, ivre de fureur, la main levée.
Mais avant que cette main ne se fût abaissée, avant même qu’aucun des seigneurs présents à cette scène eût pu faire un geste pour intervenir, Ragastens avait saisi le poignet de Malatesta. Il le tordit, le pétrit. Et, terrible cette fois, la figure convulsée, il se pencha sur le jeune homme qui essaya en vain d’échapper à la formidable étreinte.
– Quand voulez-vous que je vous tue ? demanda Ragastens d’une voix blanche.
– Dis plutôt que tu as peur de mourir ! rugit Malatesta.
Ragastens lâcha le poignet, sûr que Malatesta ne pourrait pas recommencer le geste d’outrage.
– Monsieur, lui dit-il froidement, où vous plaît-il que je vous attende ?
– Sur la grande place.
– Quand ?
– Ce soir.
Livide de rage, chancelant, Jean Malatesta sortit. L’altercation avait été rapide. Aucun des chefs présents au Conseil n’avait pu intervenir. Lorsque Malatesta fut sorti, Ragastens se tourna vers eux.
– Messieurs, dit-il avec dignité, maintenant qu’aucune suspicion ne s’élève contre moi, je veux, de mon plein gré, vous donner des explications… Je reconnais en vous les seigneurs que j’ai vus dans les catacombes. Vous m’avez entendu refuser de m’associer à toute action contre les Borgia. Il faut donc que je vous dise comment et pourquoi je suis ici…
– Monsieur, interrompit Jiulio Orsini, l’un des membres du Conseil, vos explications seront les bienvenues, si vous jugez à propos de nous les fournir. Mais je dois dès maintenant déclarer que le soupçon de Jean Malatesta est profondément injuste. En effet, je puis attester que les Borgia vous considèrent comme un de leurs plus mortels ennemis. J’étais à Rome, secrètement, le jour de votre évasion du château Saint-Ange. J’ai lu les tablettes qui mettaient votre tête à prix. Et, à l’effort qui a été fait pour s’emparer de vous, j’ai pu juger de la terreur que vous inspiriez aux Borgia. Dès ce moment, j’ai vivement souhaité vous connaître et je suis heureux que les circonstances me permettent aujourd’hui de vous tendre une main amie…
Ragastens saisit avec joie la main d’Orsini. Les autres membres du Conseil l’assurèrent tour à tour de leur sympathie.
Alors, le chevalier raconta son histoire, depuis son entrée en Italie, telle que nos lecteurs la connaissent. Ce récit, il le fit en termes simples, et rien n’était admirable comme la tranquillité avec laquelle il raconta comment il avait enchaîné à sa place César Borgia et comment, plus tard, il avait tenu le pape en son pouvoir.
Ils croyaient entendre quelque merveilleuse odyssée. Quant à Primevère, elle ne laissa rien paraître de ses sentiments. Seulement, l’attention avec laquelle elle écoutait était si profonde qu’au moment où le chevalier cessa de parler, elle eut un brusque tressaillement, comme si le silence l’eût violemment surprise.
Toutes les mesures prises en l’absence du comte Alma furent ratifiées par lui. Il
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