Borgia
vivez et que vous ne m’abandonnez plus… les diamants…
– Eh bien… les diamants ?…
– Ils sont là… sur la cheminée.
– C’est là que tu voulais en venir ? Tu deviens trop honnête, prends garde, cela te jouera un vilain tour.
Et Ragastens, plus ému qu’il n’eût voulu le paraître, frappa amicalement sur l’épaule de Spadacape, ce dont celui-ci se montra extrêmement flatté. Puis, comme il allait se retirer, Ragastens le retint. Il y eut une longue conversation mystérieuse qui se termina par ces mots de Spadacape :
– C’est bien, monsieur. Je commence dès cette nuit…
Quelques jours s’écoulèrent, pendant lesquels Ragastens se rendit tous les matins au palais, avec la foule des chefs et des seigneurs. Lorsqu’il lui arrivait de rencontrer la princesse Manfredi, il s’inclinait dans une grave salutation, mais pas un mot n’avait été échangé entre eux depuis leur dernier entretien.
Tous les soirs, le chevalier se livra à une singulière besogne. Spadacape sortait de Monteforte, conduisant une petite charrette couverte d’une bâche. Et c’est cette charrette qu’escortait Ragastens.
Dans les allées et venues de la foule, nul ne prit garde à ces sorties régulières du chevalier.
L’armée des alliés se concentra dans une grande plaine située en avant du défilé d’Enfer. Cette plaine s’appelait la Pianosa. C’est là que César concentra également ses troupes. En sorte que les deux camps étaient en présence, séparés à peine par une lieue de terrain. Il était certain qu’on en viendrait promptement aux mains.
Un soir, en rentrant dans Monteforte, après une de ces mystérieuses excursions qu’il faisait régulièrement, Ragastens, ayant franchi la porte, aperçut dans la foule des gens qui entraient, une silhouette de femme qu’il lui sembla reconnaître. Il poussa vivement son cheval, mais il fut arrêté par un embarras de foule. Et lorsqu’il parvint au coin de rue où il avait aperçu la silhouette qui cheminait devant lui à cheval, elle avait disparu.
Ragastens parcourut la rue au trot, visita les ruelles voisines, mais ses recherches demeurèrent inutiles. Il finit par y renoncer en murmurant :
– C’est une imagination ! Ce serait impossible !…
Deux ou trois jours s’écoulèrent encore, pendant lesquels Ragastens oublia complètement cet incident.
Un soir, le prince Manfredi et le comte Alma annoncèrent que l’on attaquerait le lendemain. Un rendez-vous général fut donné à tous les seigneurs présents ; au point du jour, le comte Alma et le prince Manfredi seraient sur le champ de bataille. Ragastens assista au suprême conseil qui eut lieu à ce moment. Béatrix y était également.
Après le conseil, Ragastens se rendit au palais Orsini et vérifia soigneusement l’état de son harnachement et de ses armes. Rassuré sur ce point, il dîna de bon appétit, puis voulut se coucher. Mais il sentit que le sommeil ne viendrait pas. La pensée de Primevère l’obsédait.
Puisqu’il allait peut-être mourir, il eût au moins souhaité la voir une dernière fois et lui dire ce qu’il avait souffert par elle ! Enfin, il n’y put tenir et sortit. Machinalement, il se dirigea du côté du palais comtal.
Les portes en étaient fermées. Bientôt, il longea la grille du parc.
Il s’arrêta alors, le visage collé à la grille, il essaya de percer l’obscurité dont s’enveloppaient les sombres massifs. Mais il ne vit rien.
Tout à coup, Ragastens se mit à escalader la grille. En quelques instants, il se trouva de l’autre côté.
Où allait-il ? Il le savait à peine. Il venait, sans but précis, de franchir une grille, comme un larron, et il marchait devant lui. Brusquement, il se trouva devant le banc de granit où il avait déjà vu la princesse Manfredi. Elle était là ! Elle était seule.
Ragastens ne réfléchit pas. Il ne pensa à rien, sinon qu’elle était là, et il s’avança vers elle. Primevère le reconnut aussitôt. Elle le vit venir sans étonnement… elle était sûre qu’il viendrait.
– Madame, dit-il, voulez-vous me pardonner d’oser me présenter devant vous en ce moment ?…
– Je vous le pardonne, répondit-elle sans embarras apparent ; mais comment avez-vous fait pour entrer ?
– J’ai escaladé la grille du parc, dit-il simplement. Et, comme elle faisait un geste :
– Oh ! continua-t-il, ne donnez pas à ma démarche une interprétation malséante.
Weitere Kostenlose Bücher