Borgia
ses étriers, poussa un cri de victoire.
À ce moment, un cavalier, un hercule maniant une lourde lance, galopa sur lui. D’un coup d’œil, Ragastens vit les Suisses qui fuyaient, emportant Borgia et poursuivis par les cavaliers qu’il avait amenés. Il se tourna alors contre l’hercule : ils étaient pour ainsi dire seuls dans un large espace sanglant, encombré de mourants et de morts.
Léger, sans armure, Ragastens évita le choc du cavalier qui venait sur lui. L’hercule, emporté par l’élan, le dépassa ; et ce fut alors Ragastens qui courut sur lui. En quelques bonds, il le rejoignit et, comme l’hercule essayait de se retourner, il poussa une horrible clameur, l’épée de Ragastens venait de lui entrer dans la gorge.
L’homme roula à terre et son cheval s’enfuit, épouvanté. Le casque du cavalier se détacha au moment où il tomba. Sa tête pâle et crispée apparut.
– Tiens ! C’est ce pauvre Astorre ! fit Ragastens.
– Oui ! répondit Astorre avec un sourire désespéré. Comme vous voyez, je suis venu chercher mon huitième coup d’épée…
– Baron, j’en suis fâché, dit Ragastens ému.
– Bah !… Ce sera… le dernier !…
Le baron Astorre se raidit, talonna la terre, puis ses yeux se convulsèrent, et il demeura à jamais immobile.
– Pauvre diable ! murmura Ragastens.
Et, tout pensif, il revint vers le front des troupes alliées. Une acclamation l’accueillit.
Tout surpris, il regarda autour de lui pour savoir ce que signifiait cette clameur. Et alors, il s’aperçut que c’était lui qu’on acclamait. Dès qu’il eut mis pied à terre, le prince Manfredi s’avança vers lui, les bras ouverts.
– Vous nous sauvez ! dit-il en l’étreignant.
Puis, ce fut le tour du comte Alma, de Giulio Orsini, de Malatesta blessé, de vingt autres chefs qui, tous, lui donnèrent l’accolade… Non loin de là, sur un tertre, Primevère, à cheval, regardait ce spectacle. Et aucun de ceux qui l’entouraient ne put deviner les pensées qu’il suscitait en elle…
Plus loin, beaucoup plus loin, du haut d’un rocher, une autre femme avait assisté à toutes les phases de la bataille. Quand elle vit que c’était fini, cette femme reprit le chemin de Monteforte.
L’armée des alliés avait souffert. Mais le danger était momentanément écarté. On avait appris, par quelques transfuges, que la blessure de César était assez sérieuse et qu’il ne pourrait rien tenter avant quelques jours.
Le comte Alma, le prince Manfredi et quelques seigneurs rentrèrent à Monteforte pour s’occuper du siège qu’il faudrait soutenir. On ne pouvait, en effet, se dissimuler que César, arrêté une fois par la fougueuse intervention de Ragastens, finirait par franchir le défilé d’Enfer. Parmi ceux qui furent désignés pour retourner à Monteforte se trouvait Ragastens.
Il faisait nuit. Ragastens, s’étant dépouillé de ses vêtements de guerre et ayant dîné avec Giulio Orsini, se délassait des fatigues de la journée, lorsque Spadacape entra dans sa chambre.
– Monsieur, il y a une dame qui veut vous parler.
– Une dame ? s’écria Ragastens.
– Oui. Elle est masquée.
– Fais-la entrer.
La dame annoncée par Spadacape entra et, tout aussitôt, avec une parfaite tranquillité, ôta son masque.
– Lucrèce Borgia ! fit Ragastens abasourdi.
– Eh ! oui… Cela vous étonne, chevalier ? Est-ce que vous me garderiez rancune de la petite querelle que nous avons eue au Palais-Riant ?…
– La duchesse de Bisaglia ! répéta Ragastens, qui ne revenait pas de sa stupéfaction.
– Ah ! non, mon cher… vous faites erreur, dit Lucrèce en riant. Je ne suis plus duchesse de Bisaglia… Ce pauvre duc a eu un accident… Il est mort, hélas !… Et me voilà veuve !
– Madame, dit alors Ragastens, pardonnez mon étonnement… Mais une telle audace !… Vous, à Monteforte !
– Oui ! fit tranquillement Lucrèce. La chose n’est pas banale, j’en conviens. Pendant que le frère assiège la bonne ville de Monteforte, la sœur pénètre et vient rendre visite au vainqueur de César…
– Mais, madame, s’écria Ragastens, avez-vous songé que si on pouvait se douter… si on vous apercevait !…
– J’y ai très bien songé, chevalier. Et je songe aussi que vous n’auriez qu’un cri à jeter : je serais saisie aussitôt et je doute que mon sexe me protège au point de garantir ma vie… Allons,
Weitere Kostenlose Bücher