Borgia
barbus, trapus, les yeux féroces, chantant des chansons de mort, en entrechoquant leurs courtes lances et leurs glaives à deux tranchants.
Puis venaient les canons et les bombardes que traînaient des mules incessamment fouettées par d’agiles Calabrais. Le long des pièces d’artillerie marchaient en bon ordre les servants – des Allemands aux statures gigantesques, aux larges barbes en éventail.
Immédiatement après, venaient les hallebardiers, sortes de Titans que César avait recrutés dans les Flandres. Ces hommes allaient gravement, insoucieux des proches batailles, sachant à peine pour qui ils se battaient. Ils étaient suivis par le régiment des arquebusiers romains, soldats massifs.
Alors s’avançait le régiment des Suisses, lourds et indifférents chantant un ranz d’une voix monotone. Au milieu d’eux, César à cheval. Puis d’autres régiments encore ; enfin, la cavalerie toute luisante d’acier.
Des caissons, des chariots chargés de tentes et de provisions fermaient la marche, escortés par des escadrons de cavalerie légère – des Romains encore, montés sur de petits chevaux, n’ayant pour toute arme qu’un estramaçon, et pour défense un léger bouclier.
César était sombre. Une flamme brillait dans son regard. Ses narines, largement, aspiraient les âcres senteurs que dégageait cette foule en marche. Il se retrouvait dans son élément.
Mais, malgré la physique allégresse de marcher à la bataille, malgré l’orgueil qui lui venait par bouffées lorsque, du haut de quelque sommet, il embrassait d’un coup d’œil le rude spectacle de son armée, malgré la certitude inébranlable dans son esprit d’une victoire qui allait le faire roi, César était sombre.
Deux noms revenaient sans cesse à son esprit : Ragastens et Primevère.
Derrière lui, ses courtisans ordinaires causaient joyeusement de la campagne qui s’ouvrait. César entendait leurs propos, et, parfois, les approuvait d’un mot bref. Toujours l’entretien revenait sur le pillage qui, déjà, se réglait méthodiquement.
Parfois aussi, César rejoignait Lucrèce. Celle-ci commodément installée dans une vaste berline, entourée d’une garde particulière, passait le temps à lire ou à rêver.
Près de la portière de la berline, cheminait le moine Garconio, encore pâle de sa blessure, et Lucrèce s’entretenait souvent avec lui, de façon que personne ne les entendît. L’entretien de Lucrèce et du moine s’arrêtait net toutes les fois que César s’approchait de sa sœur.
L’armée s’avança ainsi par étapes régulières. Un soir, après plusieurs jours de marche lente, elle s’arrêta dans une vaste plaine et dressa ses tentes en bon ordre, puis creusa aussitôt des fossés autour du camp. Au bout de la plaine s’ouvraient, parmi les rochers, les défilés qui conduisaient à Monteforte.
Le lendemain soir, César voulut aller voir sa sœur et se rendit dans la tente magnifique qu’elle s’était fait installer. Mais Lucrèce n’était pas dans sa tente. Elle ne reparut pas de la nuit. Le lendemain, César dut se rendre à l’évidence : Lucrèce avait disparu.
– Elle aura pris peur et aura voulu s’en retourner à Tivoli, pensa-t-il.
Et il fit demander dom Garconio pour l’interroger. Mais on chercha inutilement le moine, également disparu.
XLVII – LE DUEL
Ragastens, en allant au rendez-vous de Jean Malatesta, était réellement désespéré, tout prêt à se laisser tuer par son adversaire, résolu d’en finir d’un coup avec une vie qui lui paraissait insipide du moment que Primevère lui échappait. Mais Ragastens avait compté sans le bon et puissant instinct de vivre, sans son tempérament spécial, qui lui faisait à la rigueur accepter et même souhaiter la mort, mais à qui la pensée de mourir dans une défaite était insupportable.
Donc, au moment où il se mit en garde, il offrit pour ainsi dire sa poitrine à l’adversaire. Mais, dès le premier coup sérieux qui lui fut porté, il para.
Ce ne fut pas seulement l’instinct de vivre, mais la curiosité intéressée du manieur d’épée. Malatesta était un adversaire digne de lui. Il jouait un jeu terrible. Et Ragastens, qui se fût peut-être laissé tuer par un maladroit, sentit se réveiller toute son ardeur dès l’instant où il vit qu’il risquait la mort.
Il s’intéressa à ce duel et se passionna pour l’escrime de son adversaire. Cela le sauva.
Malatesta, cependant, lui
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