Borgia
portait botte sur botte. Et, en même temps, la pensée de Ragastens évoluait ; il résolut de ne pas blesser le jeune homme, mais de se défendre de façon à ne pas être touché lui-même.
Il y eut ainsi une première passe d’armes qui arracha des cris d’admiration aux témoins de cette scène. Deux ou trois fois déjà, le chevalier eût pu blesser à mort son adversaire ; à chaque fois, il s’était contenté de parades sans ripostes. Trois reprises assez longues se succédèrent.
À la quatrième, Ragastens résolut d’en finir. Par une série de ces doublés qui le rendaient si redoutable, il lia l’épée de Malatesta et la fit sauter.
À cette époque, il était permis de tuer l’adversaire désarmé. Le duel était un vrai combat à mort, où toutes les ruses étaient permises. Il fallait tuer ou l’être.
Malatesta, désarmé, se croisa les bras.
– Vous triomphez sur tous les terrains, monsieur, dit-il avec amertume. Tuez-moi !…
Les témoins, dans ce rapide instant, considérèrent Malatesta comme un homme mort. Mais Ragastens, sans répondre, avait couru à l’épée de Malatesta. Il la ramassa, puis, revenant au jeune homme, gravement, il la lui présenta par la poignée.
Ce geste fut si simple que les cavaliers présents ne purent s’empêcher d’applaudir.
Quant à Malatesta, sa poitrine se gonfla, mais les larmes qui voulaient monter à ses yeux ne parvinrent point à couler. Pendant quelques secondes, il demeura comme accablé, hésitant, en proie à une sorte de vertige. Puis, tout à coup, il ouvrit ses bras ; la générosité de Ragastens l’avait vaincu !…
– Aimez-la ! murmura le malheureux jeune homme. Vous êtes digne d’elle…
– Morbleu ! répondit Ragastens, je renoncerais à ma part de ciel s’il me fallait faire du mal à un gentilhomme aussi accompli. Mais, continua-t-il, assombri soudain, vous vous trompez singulièrement. Il est possible qu’elle ne vous aime pas, puisque vous l’affirmez. Mais je vous garantis que je ne suis pas plus heureux que vous !
Ces mots avaient été échangés à voix basse. Malatesta secoua la tête, puis, prenant Ragastens par la main :
– Messieurs, dit-il, voici mon frère…
Giulio Orsini résuma l’impression générale en disant :
– Le chevalier devient notre frère à tous, puisqu’il va combattre parmi nous, avec nous, pour nous.
Cette simple parole décida des destinées de Ragastens. L’instant d’avant, il se répétait que, Primevère mariée, son duel terminé, il n’avait plus qu’à s’en aller. Et, dès qu’Orsini eut parlé, il vit qu’il était lié.
S’en aller, c’était reculer, c’était se sauver. Or, Ragastens admettait tout, hormis qu’on pût dire qu’il avait fui. Ce fut donc sans hésitation qu’il répondit :
– Messieurs, vous me voyez tout glorieux de l’honneur de vaincre ou mourir en si belle compagnie.
Tous, alors, remontèrent à cheval et prirent le chemin de Monteforte.
XLVIII – LE SAULE PLEUREUR
La réconciliation de Ragastens et de Jean Malatesta fut scellée le lendemain soir, dans un dîner qui eut lieu chez Orsini. Le matin, Ragastens, accompagné de ses nouveaux amis, s’était présenté chez le comte Alma et lui avait fait part de sa résolution définitive de servir dans l’armée des alliés.
Sur quoi, le comte lui avait témoigné sa vive satisfaction et lui avait fait les offres les plus brillantes. Mais, modestement, Ragastens avait insisté pour se battre en volontaire. Toutefois, et comme le comte se récriait :
– Eh bien, avait fini par dire Ragastens, puisque Votre Altesse veut m’honorer d’un titre et d’un emploi, il y a à Monteforte quelques pièces d’artillerie. Je demande à en être spécialement chargé et à être surtout affecté au bon emploi des poudres.
Ce point réglé, Ragastens avait donc passé la journée avec ses amis. Ils avaient ensemble visité les fortifications et convenu un plan de défense à soumettre au prince Manfredi, en cas de siège. Puis, un grand dîner les avait réunis au palais Orsini. Après le dîner, Ragastens avait regagné l’appartement que Giulio Orsini avait mis à sa disposition. Spadacape l’y attendait.
– Monsieur, nous ne quittons plus l’Italie ?
– Non… pas pour le moment, du moins.
– Et monsieur n’a plus envie de se faire tuer ?
– Où as-tu pris que j’aie eu cette envie saugrenue ?
– J’avais cru… Enfin, puisque vous
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