Borgia
d’effroyables avertissements.
– Qui êtes-vous ? Parlez ou je vous arrache votre masque !
– Prince, dit alors la femme avec une soudaine gravité, vous ne saurez pas mon nom, parce qu’il est inutile que vous le sachiez. Vous ne verrez pas mon visage parce qu’il est impossible qu’un Manfredi violente une femme.
– Par le ciel, gronda sourdement le prince, parlez !… Que voulez-vous me dire ?
– Je n’ai rien à vous dire, fit tranquillement l’ombre… Vous ne me croiriez pas… Mais j’ai mieux à faire que de parler… Venez, prince !… Et vous verrez vous-même sa trahison ! Vous entendrez le traître !
Le prince passa ses mains sur son front moite de sueur. Il suivit la femme qui s’enfonçait par de nombreux détours dans le méandre des allées du parc. Tout à coup, elle s’arrêta. Ils étaient sous le couvert d’un épais fourré. Devant eux, par-delà une bande de gazon qu’éclairait la lune, une femme était assise sur un banc. Et, à genoux devant elle, un homme couvrait sa main de baisers. Manfredi les reconnut sur-le-champ. C’était Primevère, princesse Manfredi. C’était le chevalier de Ragastens.
La dame masquée les lui montra en étendant le bras vers eux, puis, comme si elle n’eût plus rien à faire, doucement, elle se recula et disparut sans bruit, laissant Manfredi hagard, frappé d’une immense stupeur.
Le valet, que Lucrèce avait gagné à prix d’or, était à son poste. Et, comme il demandait s’il faudrait l’attendre encore le lendemain soir, cette fois, elle répondit :
– Non… Maintenant, c’est fini…
Par les rues noires de Monteforte, elle gagna une maison de pauvre apparence qui se trouvait située non loin de la grande porte par où le comte Alma et Ragastens avaient fait leur entrée. Elle entra, monta au premier étage et pénétra dans une pièce qu’éclairait un seul flambeau. Un homme était là qui attendait. Il était vêtu en cavalier.
– Garconio, lui dit Lucrèce, je vais rentrer au camp.
– Et moi, madame ?
– Toi, tu restes, pour le surveiller. Attache-toi à lui. Qu’il ne fasse plus un pas, maintenant, dont tu ne puisses me rendre compte.
– Bien, madame. Vous pouvez vous fier à moi.
– Je le sais, Garconio, dit Lucrèce avec un sourire de satisfaction. Tu es un serviteur sûr parce que tu travailles pour ton propre compte… Seulement, prends garde ! Si cet homme te voit, tu es perdu…
Le lendemain matin, au moment où s’ouvrait la porte, Lucrèce monta à cheval et, la figure à demi cachée par une écharpe légère, se présenta pour franchir cette porte. L’officier de garde, voyant une femme seule, ne fit aucune objection pour la laisser sortir.
Elle partit au galop. Trois heures plus tard, elle déboucha du défilé d’Enfer et, évitant le camp des alliés par un long détour, elle mit pied à terre vers midi devant la tente de César où elle entra aussitôt.
César, allongé sur un petit lit de sangles, causait avec deux ou trois de ses principaux lieutenants. Sa blessure, bien que peu dangereuse, le faisait cruellement souffrir.
– Comment ! s’écria Lucrèce en entrant. Blessé ?…
– Ma sœur ! s’exclama César.
Elle fit un signe imperceptible que comprit César. Celui-ci renvoya aussitôt les conseillers qui l’entouraient.
– Oui, blessé ! dit-il alors. Blessé par ce damné Ragastens, qui fait tout crouler autour de nous, depuis que nous avons eu le malheur de le rencontrer… Mais toi, d’où viens-tu ?…
– Je viens de Monteforte, répondit tranquillement Lucrèce.
– De Monteforte ? s’écria César.
La tranquille audace de Lucrèce stupéfiait César.
– C’est magnifique, ce que tu as fait là ! s’écria-t-il.
– D’autant plus que cela va te permettre de te venger.
César eut une exclamation de joie furieuse et voulut faire un mouvement pour se soulever. Mais la douleur lui arracha un cri et il retomba, haletant.
– Explique-toi, dit-il en se remettant. Si ce que tu dis est vrai, Lucrèce, si tu as trouvé le moyen de mettre cet homme en mon pouvoir, tu peux compter sur ma reconnaissance.
– Nous verrons cela plus tard, dit Lucrèce avec un sourire. Pour le moment, réponds à mes questions. Tiens-tu absolument à t’emparer de Monteforte ?
– Si j’y tiens ?… Ah ça ! Tu deviens folle ?…
– Ainsi, tu te refuserais à renoncer à marcher sur la ville ?
– Certes ! Par l’enfer, je la
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