Borgia
raserai, comme je l’ai dit à mon père, et je sèmerai moi-même du blé sur l’emplacement de ses remparts !
– Et puis, tu as une autre raison, avoue-le !…
– Oui ! Je sais ce que tu veux dire… Eh bien c’est vrai, je veux que la fille des Alma soit à moi !…
– En ce cas, il faut te hâter. Ragastens est dans la place et Béatrix ne le voit pas d’un mauvais œil.
César devint blême. Puis, après une minute de réflexion.
– Et tu dis que, pour avoir Ragastens en mon pouvoir, il me faudrait renoncer à détruire Monteforte ?…
– Ou feindre d’y renoncer !
– Ah ! ah !… Je crois que nous allons nous entendre !
Lucrèce, alors, se pencha vers son frère et lui parla longuement à voix basse.
Enfin, l’entretien prit fin. Alors, César appela l’officier qui se tenait en permanence devant la porte de sa tente.
– Monsieur, lui dit-il, envoyez-moi mon maître de camp et mes hérauts d’armes…
– Bien, monseigneur…
Une demi-heure plus tard, le bruit se répandait dans tout le camp, que César allait envoyer à Monteforte des parlementaires chargés de lui faire des propositions avantageuses. Quelques-uns approuvèrent la démarche. D’autres, en plus grand nombre, la jugèrent honteuse et murmurèrent que, décidément, César Borgia baissait… Nul ne soupçonna la vérité…
LI – SOIS BRAVE, FIDÈLE ET PUR
Ragastens, le soir de ce jour où il avait été créé chevalier-preux et avait reçu l’accolade du prince Manfredi, se dirigea vers le palais du comte Alma.
Une sorte de remords angoissé lui venait, non de son amour, mais de la démarche qu’il allait encore tenter et que, malgré tous ses raisonnements, il se sentait incapable de ne pas exécuter. En effet, toute la journée, il s’était dit : « Je n’irai pas ! »
Mais, lorsque vint le soir, il commença à piétiner avec impatience dans sa chambre. Bientôt, il sortit et il se dirigea sans hésitation vers l’endroit des grilles qu’il avait déjà escaladé.
Là, il attendit que tout fût devenu silencieux dans le palais et que l’heure fût arrivée où il supposait que Primevère serait à sa place habituelle. Enfin, il franchit la grille, passa par les mêmes allées où il avait déjà passé, aboutit au même point et revit Béatrix au même endroit.
Il s’avança aussitôt vers elle. Elle l’attendait en effet. Elle le vit arriver et sourit. Ce qu’ils se dirent…
Le moment vint, pourtant, où il fallut se séparer. Après un dernier adieu, Primevère s’éloigna lentement vers le palais. Ragastens demeura sur place, immobile, pétrifié par son bonheur et, depuis longtemps, elle avait disparu, lorsqu’avec un profond soupir, il s’éloigna, lui aussi.
Comme il allait atteindre la grille, il lui sembla qu’on marchait derrière lui. Il se retourna vivement. En effet, quelqu’un venait derrière lui !
Ce quelqu’un ne songeait pas à se cacher. Ragastens vit sa haute silhouette flottante dans l’obscurité. Vivement, il se jeta derrière un arbre et attendit que l’homme eût passé. Mais l’homme ne passa pas !… Il s’arrêta devant l’arbre, et, en faisant le tour s’arrêta près de Ragastens.
– Le prince Manfredi ! murmura celui-ci, frappé de vertige.
Le vieillard, les bras croisés, les yeux flamboyants, sa grande taille légèrement courbée, le regardait ardemment. Ragastens comprit qu’il savait !…
Éperdu d’épouvante – non pour lui, mais pour Béatrix ! – il fit un suprême effort pour rassembler ses esprits.
– Prince… commença-t-il.
– Pas un mot ! dit le vieillard d’une voix si changée que Ragastens la reconnut à peine. J’ai tout vu, j’ai tout entendu. Bénissez le ciel que je conserve mon sang-froid et que, pour éviter un scandale, une tache à mon nom, je ne vous tue pas ici comme un chien ! Demain… chez moi… je vous attends…
– J’y serai, prince ! dit Ragastens tout à coup ramené au calme par les paroles de Manfredi.
– J’y compte, monsieur, s’il vous reste une parcelle d’honneur et de dignité !
– J’y serai ! répéta Ragastens avec hauteur.
Et il salua le prince d’un grand geste. Puis, sans prendre de précaution, désormais inutile, il marcha droit sur la grille qu’il franchit. Bientôt, il était rentré chez lui.
La nuit fut affreuse pour lui. Il la passa à combiner des arrangements qui s’écroulaient l’un après l’autre. Le jour vint sans
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