Borgia
inutile, ajouta-t-il. Je vais de mon côté me rendre à Caprera pour reprendre mon service auprès de la signora Lucrèce, car je n’en ai pas fini avec elle.
– Pourquoi ne pas faire route ensemble ?
– La signora le saurait infailliblement et cela suffirait peut-être à vous faire échouer dans votre projet, quel qu’il soit ; cela suffirait en tout cas pour me faire assassiner. Seulement, voici ce que je voulais vous dire… Sur la gauche du château, en longeant le bord de la mer, il y a, à un quart de lieue environ, quelques cabanes de pêcheurs. Entrez dans la troisième de ces cabanes, dites que vous venez de la part de Giacomo, et vous serez bien reçu. Partout ailleurs, vous seriez dénoncé.
Ragastens serra vigoureusement la main du vieillard et partit. De Rome à Ostie, la distance n’est guère que de quelques petites lieues. Ragastens fit rapidement le trajet et arriva en pleine nuit au port.
Il fallait passer la nuit à Ostie. Ragastens chercha des yeux une auberge où il pût s’abriter avec Spadacape. Mais toutes les lumières étaient éteintes.
– Nous allons donc passer la nuit à la belle étoile ?
– Monsieur, dit alors Spadacape, si vous voulez me suivre, je me charge de vous trouver un abri.
– Tu connais donc Ostie ?
– Eh ! Monsieur, dans mon ancien métier, il fallait prévoir un peu tout ce qui pouvait arriver. Et dans ce tout, la possibilité d’une fuite par mer tenait naturellement sa place. Nous étions en accointance avec certains mariniers de la côte, et je crois que c’est parmi eux que nous trouverons notre affaire pour le voyage de Caprera.
Quelques minutes plus tard, Spadacape s’arrêtait devant une maison basse, de sinistre apparence, dont la porte et les fenêtres étaient soigneusement fermées.
Spadacape et Ragastens avaient mis pied à terre devant la porte. Le premier siffla d’une façon particulière et, presque aussitôt, la porte s’entrouvrit, un homme parut. Il eut un moment d’effarement et de soupçon en apercevant deux cavaliers qui avaient tout l’air de gens de guerre. Mais Spadacape s’approchant de lui prononça à voix basse quelques paroles. Il se rassura aussitôt et, frappant dans ses mains, appela une sorte de domestique.
– Conduis à l’écurie les chevaux de ces seigneuries.
– Si leurs seigneuries veulent prendre la peine d’entrer… dit le patron de l’auberge.
Et il s’effaça pour les laisser pénétrer dans une salle basse. Cette salle était garnie de tables et de bancs. Sur les tables, des brocs et des gobelets d’étain. Sur les bancs, des marins et quelques filles.
À l’entrée de Ragastens et de Spadacape, il se fit un instant de silence plein de défiance ; mais le patron esquissa de la main quelques signes mystérieux et les hôtes du bouge, sans plus se soucier des nouveaux arrivés, reprirent leurs conversations.
Spadacape et Ragastens avaient été s’asseoir à une table inoccupée. Le patron apporta sur la table une cruche et deux gobelets.
– Tu m’avais dit qu’ici nous trouverions des marins pour nous transporter à Caprera, dit Ragastens.
– Attendez, monsieur… D’abord, soyez sûr qu’aucun patron de tartane ou de goélette ne voudra vous embarquer si vous dites que vous allez à Caprera.
– Pourquoi cela ?
– Parce que la signora Lucrèce déteste les curieux, c’est une femme de précaution et tous les marins de la côte savent ce qu’il en coûte de conduire des étrangers trop près de son château…
– Comment faire, alors ?…
– Rappelez-vous, monsieur, que le digne patron de cette auberge nous a accueillis parce que nous sommes en fuite ; nous allons en Sardaigne ; du moins, je le lui ai fait croire quand je lui ai parlé tout à l’heure. Dans quelques minutes, tous les marins qui sont ici vont le savoir. Et alors, nous n’aurons que l’embarras du choix.
– Attendons, en ce cas !
L’attente ne fut pas longue. En effet, au bout de quelques minutes, un vieux marin à barbe grise s’approcha, en se dandinant, des deux hommes, et sans y être d’ailleurs invité, prit place auprès de Ragastens, se versa un plein gobelet de vin qu’il vida d’un trait.
– Je suis le patron de la Stella, fine mouche qui file vent devant comme hirondelle de mer ; je m’appelle Giuseppo.
Ragastens salua gravement de la tête.
– Et comme ça, reprit le marin, il paraît que la terre du continent vous brûle les pieds ?… Et alors,
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