Borgia
selle, le buste haut, le rire sonore, il apparaissait comme un Hercule qui eût entrepris de bousculer à lui tout seul un peuple de Cacus.
Capitan, tenu dans les rênes par la main de fer du chevalier, piétinait rageusement, écumait, soufflait bruyamment ; ses naseaux grands ouverts semblaient aspirer la bataille. Tout à coup, Ragastens lui rendit la bride… Le cheval bondit, se rua, tourbillonnant, battant l’air de ses fers…
– Place, faquins ! Place, truands ! tonna Ragastens.
– Mort à l’assassin ! Mort au Français ! répondit la foule dans une clameur délirante.
Des coups d’arquebuse avaient retenti. Mais pas une balle n’atteignit le cavalier qui, dans un tourbillonnement vertigineux, insaisissable, gagnait du terrain vers la place du Château maintenant tout proche… Mais, entre cette place et le chevalier, un rang de forcenés dressait une barrière vivante et infranchissable.
Ragastens, pourtant, s’avança… Tout à coup, il vit un homme s’approcher en rampant de son cheval. L’homme avait à la main un large coutelas.
L’homme allait couper les jarrets de Capitan !…
Ragastens se vit perdu.
À cette minute où sa vie ne dépendait plus que d’une inspiration d’héroïsme fou qui, seule, pouvait le sauver, le chevalier sentit ses forces centuplées. À l’instant précis où l’homme au coutelas bondissait sur Capitan, il se baissa, rapide comme la foudre, et saisissant l’homme par la ceinture, il le souleva, l’enleva, le plaça en travers de sa selle… Cet homme, c’était Garconio ! Mais Ragastens ne le reconnut pas. Il ne le regarda pas… Il poussa droit à la barrière vivante, qui redoublait ses invectives furieuses et s’ébranlait sur lui…
Alors, Ragastens, lâchant la bride de Capitan, empoigna à deux mains l’homme qui rugissait et se démenait… Il le souleva jusque par-dessus sa tête, à bras tendus, se dressa tout droit sur ses étriers et, d’une secousse formidable, d’un effort qui fit craquer ses nerfs et ses muscles, il balança un instant le moine, puis, à toute volée, comme une catapulte, le projeta violemment sur ses assaillants !…
En même temps, il ressaisissait la bride et enlevait Capitan dans un élan de tempête. Le cheval, fou de terreur, se ramassa sur ses jarrets, exécuta un bond prodigieux et, sautant par-dessus plusieurs rangs, alla retomber de l’autre côté de la vivante barrière et galopa vers la grande porte du château.
IX – LA MAGA
Il y avait à Rome, comme dans la plupart des grandes villes, un quartier spécial qu’on appelait le Ghetto. C’était un enchevêtrement de sombres ruelles au milieu desquelles, parmi des pavés disjoints, croupissait l’eau des ruisseaux où les détritus et les ordures achevaient de pourrir.
Toutes les langues du monde connu résonnaient dans cet étrange capharnaüm, comme si les peuples s’y fussent donné rendez-vous après la destruction de la tour de Babel.
Ce quartier, dont les habitants avaient à peine le droit de sortir – et à certaines heures seulement – ce Ghetto dont les chrétiens s’écartaient avec horreur et dégoût, était réservé aux incroyants, aux infidèles.
Là, vivaient des Égyptiens, marchands de sortilèges ; des Bohémiens, diseurs de bonne aventure ; des Juifs, trafiquants de pierres précieuses et d’étoffes ; des Maures fabricants d’armes, de cuirasses et de cottes d’acier.
Le soir même des funérailles de François, donc, comme onze heures sonnaient, un homme pénétra dans l’une de ces ruelles infectes. Il était accompagné de quatre serviteurs, dont l’un marchait en avant, une lanterne à la main, et dont les trois autres suivaient par derrière, armés de pistolets et de poignards.
L’homme ainsi escorté franchit la chaîne qui barrait la ruelle et que le porteur de lanterne avait au préalable détachée. Puis il s’enfonça dans le Ghetto, indiquant parfois d’un mot bref le chemin qu’il fallait prendre au serviteur chargé du soin de l’éclairer.
Le nocturne visiteur s’arrêta enfin devant une maison basse, délabrée, fendillée de lézardes, d’aspect plus répugnant et plus sinistre que ses voisines.
D’un geste, il ordonna à son escorte de l’attendre dans la rue. Puis, sans hésitation, il pénétra dans l’allée, grimpa lentement un escalier en bois, très raide, et se trouva devant une porte qu’il ouvrit.
Il entra et referma la porte. Il se trouva alors dans une
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