Borgia
coup ce qui me reste de vie vacillante… Une nuit d’amour, Maga, et c’est un trésor que je jetterai à tes pieds…
La Maga secoua la tête. L’homme laissa retomber ses bras qu’il avait tendus.
– Tu refuses ? fit-il durement.
– Ce sont vos trésors que je refuse ! Quant au philtre dont vous me parlez, c’est pour moi un jeu d’enfant… Demain, la liqueur qui doit vous rendre la jeunesse pour quelques heures sera prête…
– Mais, songes-y, reprit le visiteur, il faut aussi que ton philtre donne à celle que j’ai choisie le pouvoir d’oublier que je suis vieux… le pouvoir de m’aimer !
– Il faut que je sache qui elle est ! fit la vieille.
– Qui elle est !… Je le sais à peine moi-même ! Je l’ai vue une fois, une seule fois, aujourd’hui ! Ce matin, j’ignorais qu’elle existât… Mais son portrait m’a donné l’ardent désir de la voir… Le portrait d’un ange, Maga !… Je l’ai vue cet après-midi… Caché dans ma loge de Saint-Pierre, j’ai pu la contempler longuement, détailler sa beauté souveraine… Jamais… jamais, dans ma longue vie, je n’ai éprouvé semblable émotion.
– Jamais ? interrompit la sorcière d’un ton lugubre.
– Non, jamais !…
– Et comment l’appelle-t-on ?
– C’est une pauvre fille du peuple… une fornarina… on ne lui connaît pas de nom, pas de famille…
– Et le portrait, demanda-t-elle d’une voix en apparence indifférente, qui l’a fait ?…
– Un jeune peintre… nommé Raphaël Sanzio… mais qu’importe !… Feras-tu ce que je te demande ?
– Je le ferai !
– Combien de temps te faut-il ?
– Un mois.
– Un mois ? Jamais je ne pourrai me résigner…
– Il le faut !
– Mais réussiras-tu au moins ?
– Je réussirai.
– Eh bien soit ! Dans un mois, tu me reverras.
– Je serai prête…
Alors, le visiteur se leva et se dirigea vers la porte. Mais avant de disparaître, il esquissa une dernière recommandation dans un geste de prière et de menace tout à la fois. Puis il descendit l’escalier, rejoignit son escorte et, par les ruelles noires, se mit en route vers le château Saint-Ange.
Parvenu sur la place, il tendit à chacun des hommes qui l’avaient accompagné une pièce d’argent. Les hommes s’éloignèrent en remerciant.
Quelques minutes plus tard, quelqu’un qui l’eût épié l’eût vu se perdre dans l’obscurité de l’étroit boyau que César Borgia avait, le matin même, parcouru en sens inverse. Le mystérieux promeneur, partant des caves du château Saint-Ange, arriva enfin par une porte dérobée dans une chambre à coucher du Vatican où il retira son masque… et où, après s’être déshabillé, il se coucha dans un vaste lit armoiré d’une tiare et de deux clefs. Aussitôt, il frappa avec un petit marteau sur un timbre d’argent.
Un valet accourut.
– Ma tisane ! commanda-t-il.
Le domestique s’empressa et exécuta l’ordre.
– Maintenant, envoie-moi mon lecteur…
Le valet disparut comme une ombre et fut instantanément remplacé par un jeune abbé.
– Angelo, mon enfant, voilà deux heures que je me retourne dans mon lit sans pouvoir trouver le sommeil… Lis-moi quelque chose… Tiens ! Prends donc le quatrième livre de l’« Énéide » !…
– Tout de suite, Saint-Père, répondit l’abbé.
X – LA VIERGE À LA CHAISE {3}
Depuis le départ de son visiteur, la Maga était demeurée accroupie dans son coin, près de ses serpents. Une profonde rêverie la tenait les yeux ouverts, fixés sur de flottantes images.
– Voici bientôt le jour ! murmura-t-elle au moment où le coq chanta, saluant l’aurore.
Elle se leva, alla à tâtons vers un vieux bahut qu’elle ouvrit. Puis elle fit jouer un ressort, et un tiroir s’ouvrit.
Au fond de ce tiroir, ses mains saisirent un coffret en bois d’érable, merveilleusement sculpté, enrichi d’incrustations d’or… Dans le coffret, il n’y avait que deux objets.
Un poignard à lame acérée, de fabrication maure. Le poignard était très simple et s’emboîtait dans une gaine recouverte de velours d’un cramoisi déteint.
L’autre objet était une miniature enchâssée dans un cadre d’or ouvragé, orné de diamants et de rubis. Le cadre eût suffi pour faire la fortune de la Maga… si elle eût voulu le vendre. Cette miniature représentait un jeune homme vêtu du costume en usage parmi les étudiants espagnols du XV e
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