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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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média anti-média populaire reflétait les
aspirations plus larges du théâtre de rue qu’était le Cirque invisible. Rien
n’était vraiment prévu. Dans la semaine, le mot avait circulé sur Haight
Ashbury : si quelque chose que vous n’aviez jamais pu réaliser, faute de
place disponible, vous tenait à cœur, vous n’aviez qu’à vous rendre au Cirque
invisible, à huit heures du soir. Richard annonçait que le lieu de ce happening
serait gardé secret jusqu’à la dernière minute.
    Sans déroger au mot d’ordre, il m’appela à Monterey et me
demanda de mettre ma camionnette à la disposition des Diggers, mais refusa de
m’en dire plus.
    « Viens, c’est tout », m’ordonna-t-il, « tu
ne le regretteras pas. »
    Je suis monté à San Francisco le jeudi, et j’ai donné un
coup de main toute la matinée du vendredi pour trimballer jusqu’au Glide les
ronéos, et autres dons, rames de papiers, stencils et provisions. D’autres
objets, emballés dans des bâches déchirées, s’entassaient déjà dans le hall
d’entrée. Un bureau fut transformé en salon de couture. Comme l’heure du coup
d’envoi – huit heures – approchait, toutes sortes de
rumeurs circulèrent. De la présence possible de Big Brother and the Holding
Company, jusqu’à une « Course de la destruction au ralenti », une
partie de stock-cars avec de vieilles bagnoles sur le parking.
    Ce qui s’est réellement passé a été bien plus improbable,
cinglé et effrayant que n’importe quelle rumeur qui avait pu courir. Ironie du
sort, les opérations se sont déroulées exactement comme sur Haight Ashbury. Ce
qui avait débuté comme une expérience théâtrale improvisée se déroulant sur
plusieurs plateaux fut débordé par une marée de rats humains dont la plupart
étaient carrément timbrés.
    Ce numéro de voltige en pleine anarchie fournit à Richard
l’une de ses histoires préférées. Il semble que certains aient eu l’idée de
monter un café ; ils se sont donc emparés d’une grande salle de
conférences afin d’y distribuer du café. Or, théoriquement, les salles
n’étaient allouées à chaque groupe que pour un nombre d’heures limité. C’est
effectivement ainsi que les choses ont commencé au début. Mais le raz de marée
a ensuite atteint de telles proportions qu’il a rapidement été impossible de
retirer quoi que ce soit des salles, encore moins d’y faire entrer quelque
chose. Richard se plaisait à raconter comment s’effectuait le changement de
propriétaire de chaque salle. Plus tard dans la nuit, lorsque la folie fut à
son comble, Brautigan trôna dans le café en compagnie d’un des responsables de
l’église. Les deux hommes tombaient de fatigue à force de boire du café, trop
vannés pour faire mieux qu’ignorer le film porno projeté sur un drap tendu à
l’autre bout de la pièce.
    « Le film était rasant, les gens dégueulasses, ils se
livraient à des trucs dégueulasses. Nous deux, nous buvions notre café, nous
demandant comment toute cette folie allait se terminer », racontait
Richard.
    « C’est à ce moment-là que j’ai remarqué les types du
café qui pliaient les gaules, le film porno s’est achevé au moment où ils
s’éclipsaient. Le drap s’est déchiré. Deux strip-teaseuses sont apparues devant
un groupe qui distillait une musique torride de circonstance. »
    Le prêtre fit savoir que, cette fois-ci, il quittait le
navire pour de bon.
    Du côté du Complexe des ordinateurs John Dillinger, les
choses n’allaient pas mieux. A une exception près, toutes les machines étaient
tombées en panne. Non seulement à cause des utilisateurs inexpérimentés, mais
aussi en raison de l’épuisement des machines. La seule ronéo qui tournait
encore était sauvagement gardée par un barjot sous speed, polarisé par les
ragots orduriers et les rumeurs d’un bar du Tenderloin. Il consignait sa prose
dans une parution qui sortait toutes les heures. Ces communiqués étaient tirés
avec tant de précipitation que l’encre n’avait pas le temps de sécher. Si bien
que les salles furent rapidement souillées de ces vestiges froissés.
    A minuit, Richard était censé faire une lecture dans le
sanctuaire. Plus tôt dans la journée, il avait demandé qu’on aille à Point
Reyes lui chercher un seau d’huîtres. Lorsque j’ai essayé de me renseigner sur
le rapport entre sa lecture et les huîtres, il est mystérieusement resté dans
le vague.

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