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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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Apparemment, les huîtres n’avaient pas grand-chose à voir avec
l’événement.
    Minuit. Une déferlante humaine grondait dans le bâtiment.
Tout le monde était venu. Tout Haight Ashbury, ainsi que les clodos du
Tenderloin, des marins en virée, des cas irrécupérables échappés de l’asile,
travelos en goguette, anomalies karmiques, touristes, plus l’habituelle
animation du quartier. Quand les Diggers annoncèrent le repas à onze heures,
toute cette populace essaya de s’entasser dans la salle à manger. Toutes les
pièces furent obstruées. Pendant toute la nuit, je fus bloqué dans une salle,
puis une autre. Tous ces corps circulaient comme dans un métro de chair
humaine. Il n’y avait plus rien d’amusant.
    Dans le couloir encombré de bâches lacérées, quelqu’un
arracha l’interrupteur. S’ensuivit une cohue dans le noir. Sans doute due à la
file d’attente pour pénétrer dans la « Chambre nuptiale ». Quelques
entrepreneurs philanthropes de l’érotisme y avaient installé une « Chambre
des sens », un festival de plumes, fourrures, ballons, encens, musique, et
un luxe d’ustensiles sexuels. Le tout rebaptisé « Fuck room ». On
faisait entrer les couples pour des ébats de vingt minutes. Il semblait que la
longue file d’attente s’impatientait. Elle opérait un repli stratégique vers le
corridor jonché de morceaux de plastique.
    La lecture publique de Richard était prévue pour minuit. Il
est monté jusqu’à l’autel et a embrassé du regard le chaos. Dans le sanctuaire
enfumé régnait une ambiance brumeuse. Le LSD avait été distribué plus tôt, et
tous les défoncés se montraient maintenant bruyants et imprévisibles. En
apercevant Brautigan, la foule s’est calmée un instant, en signe de respect
peut-être ou de curiosité. Il a annoncé qu’il dédiait ses textes aux huîtres,
il a déposé le seau sur l’autel, puis il fut impossible d’entendre quoi que ce
soit. Le sanctuaire retourna au chahut et à la confusion.
    S’il est une intention qui présida à son geste, ou si,
éventuellement, un poème le justifiait, je ne le sus jamais. Le brouhaha de la
foule noya littéralement Brautigan. Il essaya bien de lire quelques poèmes,
mais abandonna rapidement. Même avec un porte-voix, il ne put se faire entendre.
A quatre heures du matin, après moins de huit heures, les prêtres firent
suspendre l’événement qui devait durer trois jours. En tant que responsable du
Complexe des ordinateurs John Dillinger, Richard fit partie de la réunion
finale qui décida de dissoudre le Cirque invisible.
    « Vint un moment où tout était devenu tellement
fou », rapporta Richard le lendemain, « qu’aucun des membres de
l’église ne se formalisait même plus de ce qui se passait dans la “Chambre
nuptiale”. Un des Diggers avait nommé comme porte-parole une espèce de taré
sous acide, qui ajoutait entre chaque intervention des prêtres son grain de sel
à tort et à travers. Un vrai sac de nœuds. Chacun proposait sa solution pour
faire sortir la foule de l’église, sans avoir à appeler la police, ni provoquer
une émeute. »
    Richard mentionna qu’un des membres du Bureau était en
pleine transe. Il ne cessait de répéter :
    « Il y a une chose sur laquelle nous nous étions
entendus : pas de corps nus sur l’autel, et que s’est-il passé ? Des
corps nus sur l’autel. »

 
    Chapitre III
LE FESTIVAL DE MONTEREY, 1967
     
     
    En avril 1967, ma place dans la grande chaîne de la vie se
modifia : à l’âge de vingt-trois ans, je devins le papa d’une petite
fille, Perséphone. Douze jours plus tard, mon père mourut d’une crise cardiaque.
Tout portait à croire qu’il me faudrait dès lors assumer des responsabilités
plus lourdes, mais les temps n’étaient pas aux prévisions à long terme. J’avais
beau avoir une famille à charge, je n’en avais pas moins décidé de devenir
écrivain.
    Après la naissance de Perséphone, nous avons emménagé dans
une adorable demeure d’époque, située sur Pacific Grove. L’endroit était
spacieux, tout en longueur, aéré. Un mur entier, percé de fenêtres, dominait la
baie. Cette bicoque de rêve, qui nous revenait à 50 dollars par mois, contenait
suffisamment de chambres pour héberger tous les copains de San Francisco. El
effectivement, ils se pointèrent, s’installèrent, interrompant joyeusement
l’emploi du temps que je m’étais assigné pour mes projets littéraires de

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