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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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pique-nique.
C’est à cette période qu’il commença à écrire La Pêche à la truite en
Amérique. »
    Cette pastorale prit fin dès leur retour à San Francisco, où
Richard avait l’habitude d’aller traîner du côté de North Beach. Fatiguée
d’être délaissée avec l’enfant, Virginia eut une aventure avec un des amis de
Brautigan ; et ils mirent les bouts pour Salt Lake City. Ce fut un coup
très dur pour Richard. Il écrivit Sucre de pastèque peu après la
rupture. Malgré son décor de conte de fée, je n’ai jamais trouvé ce roman
puéril. Avec son vocabulaire limité, son insistance à rester dans le présent,
en dépit de quelques entorses, la narration fonctionne comme une sorte de coda
fondée sur la perte d’un être, une ode proclamant la nécessité de laisser
choses et relations dans l’« Usine oubliée ».
    Richard éprouvait une certaine vanité à propos de son
imagination. C’était son point fort, et il exprimait parfois une sorte de
dédain pour les autres facultés de l’esprit. Après son premier cycle de
lectures sur la côte Est, il raconta qu’il s’était farci Harvard et les autres
universités de l’Ivy League, et combien il en avait « maintenant ras le
bol de ces types qui ne savent être que brillants ».
    Il plaisantait, bien sûr, mais d’une certaine manière, il le
pensait. Il considérait les prouesses purement intellectuelles comme
inférieures aux jeux de l’imagination. Il craignait aussi la mémoire, cette
puissance boiteuse, et la considérait aussi comme une faculté intellectuelle
inférieure.
    Thornton Wilder fit le commentaire suivant :
« L’intellect n’est pas un dérivé de la souffrance. La prouesse
intellectuelle est une réaction contre cela, pour », comme le dit Wilder,
« s’expliquer à soi-même les raisons pour lesquelles on souffre. » Il
apparaît clairement, chez Brautigan, qu’il ressentait l’imagination créative
comme née de la souffrance, et quand l’art est assez fort pour résister, il
doit triompher de la souffrance. Comme il l’écrivit de son ami acculé par la
pauvreté, « Le pochard qui marchait au Kool-Aid » :
    « Il créa sa propre réalité Kool-Aid, une réalité
capable de lui apporter l’illumination. »
    Quoi qu’il en fût, Richard ne dédaigna jamais la discipline
intellectuelle que constituait le fait de publier. Une fois le brouillon couché
pêle-mêle sur le papier, il passait de longues journées à mettre au point sa
prose, et se montrait plutôt féroce lorsqu’il s’agissait de faire des
corrections.
    Au cours de ces séances intenses de rédaction, il m’appelait
souvent, parfois tard dans la nuit et me lisait une phrase. Son tic particulier
était de n’en lire qu’une seule :
    « Qu’est-ce que tu penses de ça ? »
disait-il, et il relisait : « Qu’est-ce que t’en penses ? »
La phrase, invariablement, allait droit au but sans grandes complications. Je
n’ai jamais pu savoir ce qui, d’après lui, clochait. Je ne me souviens pas lui
avoir jamais été d’aucune aide pour la moindre phrase. J’avais beau lui
demander de me faire la lecture des autres phrases, avant ou après celle qui le
gênait, il s’y refusait. Il s’obstinait à relire la phrase, et la relire
encore, comme un obsédé, incapable de formuler ce qui le dérangeait dans cette
phrase. Finalement, je lui disais que, d’après moi, c’était bon. Il me donnait
raison, puis, sceptique, raccrochait. Il rappelait une heure plus tard. Lisait
une autre phrase. Me demandait si ça sonnait bien. Cela pouvait durer plusieurs
jours. Finalement il me retéléphonait, il se confondait en excuses pour le
dérangement, et, pour se faire pardonner, m’invitait à dîner.
    Bien que je n’aie jamais pu découvrir ce qui le chagrinait
avec ces phrases, tant que je m’en tenais à mes propres impressions, il me
prêtait une oreille attentive. Pour lui, ces impressions avaient plus de valeur
que les détails. J’en conclus plus tard qu’il se servait de moi comme cobaye
pour tester les tonalités émotionnelles, car il avait en effet toujours
beaucoup apprécié la sensibilité de mes écrits.
    Jamais il ne m’appela à propos de ponctuation ou de
grammaire. Connaissant Richard, je le soupçonne d’avoir contacté d’autres amis
s’il doutait de lui sur un point précis, comme les virgules ou la concordance
des temps.
    Dans les premières années, cette habitude fut une curieuse
constante

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