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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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son passé dans le Nord-Ouest. Il y puisait la substance pour ses
écrits mais refusait d’en discuter. Ce qui est tout à fait compréhensible. Il
n’avait que son imagination pour triompher de sa propre histoire et les
blessures encaissées par le gamin de l’Assistance qu’il avait été. Simplement,
le souvenir était douloureux. Et c’est pourtant dans le souvenir que l’Art puise
ses délices.
    La scrupuleuse rigueur dont il faisait preuve pour sa
prose – il lui arrivait de rester debout pendant des jours à
retravailler sur ses romans – resurgissait parfois sous forme
d’insomnies, fléau dont nombre d’écrivains se plaignent. J’ai tout d’abord
pensé que l’imagination supérieurement active de Richard, et ses méthodes de
travail « blitzkrieg » en étaient la cause. Mais, après sa mort, j’ai
appris par sa fille Ianthe que lui et sa jeune sœur avaient été abandonnés par
leur mère dans un hôtel du Montana, à Great Falls. Richard avait neuf ans, il
était l’unique soutien pour sa sœur. C’est à un cuisinier compatissant de
l’hôtel qu’ils doivent d’avoir survécu. Brautigan a confié plus tard à sa fille
qu’il n’avait pas réussi à dormir, il attendait que sa mère revienne. Et c’est
depuis cette époque qu’il avait été victime d’insomnies.
    Un autre aspect de l’histoire me frappa. Dans toute l’œuvre
de Brautigan, il y a beaucoup de portes. Symbole de séparation, parfois, mais
plus souvent de changement de vie. Je me suis demandé si ces nuits et ces jours
passés à guetter une porte d’hôtel, dans l’attente d’une mère qui n’arrive pas,
n’avaient pas conféré à la porte une valeur fétiche.
    Cette attitude qui consistait à ne pas remuer le passé
constitua un autre lien entre Richard et la génération psychédélique :
l’accent mis sur le présent, le « ici-et-maintenant ». C’était un
code sur le Haight : ne jamais demander à quelqu’un ce qu’il avait fait
avant, ni pourquoi il se trouvait là, ni d’où il venait, etc. Dans ses écrits,
Richard offrait un reflet à ce penchant de la génération psychédélique pour une
recréation de soi-même, on en trouve plusieurs versions dans ses livres. Ce
passage tiré de Sucre de pastèque serait le mot de passe chez les jeunes
de Haight Ashbury :
    « J’imagine que vous êtes curieux de savoir qui je
suis, mais je suis de ces gens qui n’ont pas de nom régulier. Mon nom dépend de
vous. Alors donnez-moi le nom qui vous passe par la tête.
    « Si vous pensez à quelque chose qui s’est passé il y a
longtemps : Quelqu’un vous a posé une question, et vous n’avez pas su
répondre.
    « C’est mon nom.
    « Peut-être pleuvait-il très fort.
    « C’est mon nom.
    « Ou bien quelqu’un voulait vous faire faire quelque
chose. Que vous avez fait. Alors on vous a dit que ce n’était pas ça du
tout – “Désolé” – et vous avez dû recommencer.
    « C’est mon nom. »
    Contrairement à la plupart des habitués du Haight Ashbury du
psychédélique, c’est sur son imagination que Richard comptait pour transformer
la réalité. Parfois, quand on insiste trop lourdement sur une vision délirante
d’une réalité banale, l’effet obtenu s’effectue au détriment du matériau. Ses
transformations semblaient forcées ou injustifiées. Sa poésie souffrit souvent
de cela. Ce fut aussi parfois le cas de ses courtes fictions impressionnistes,
comme le paragraphe qui suit tiré de « Châteaux de sable », dans La Vengeance de la pelouse :
    « Des faucons tournoient dans le ciel comme des
ressorts perdus de vieilles horloges de gare cherchant parmi ce qui flâne en
bas la protéine qu’il leur faut et sur laquelle ils s’abattront pour la dévorer
chronologiquement. »
    Sur un plan personnel, il m’est apparu que Richard avait
écrit Sucre de pastèque par réaction à son divorce d’avec sa première
femme Virginia Adler. Quand ils sont tombés amoureux l’un de l’autre, lui
vivait dans un foyer pour sans-abris, et travaillait comme coursier à la
Western Union. Plus raffinée et cultivée que lui, c’est pourtant elle qui se
tapait des boulots de secrétaire pendant qu’il écrivait. En 1961, après la
naissance de Ianthe, ils firent suffisamment d’économies pour s’offrir un
voyage idyllique dans l’Idaho.
    « Nous campions au bord des ruisseaux, Richard
installait sa vieille machine à écrire portable sur la table de

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