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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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resterait toujours marginale, quel que fût le crédit dont pût jouir
son moi public.
    Il arriva parfois que la rage et la frustration qu’il avait
accumulées contre la société le portent à saccager le plaisir des autres. Il
racontait par le menu son histoire familiale, comme ce Noël passé dans un ciné
porno, ou bien ce restaurant au repas parfaitement désolant pour les fêtes de
Thanksgiving. A la suite de quoi il se déclarait fier de n’appartenir à
personne, de ne pas avoir de vraie famille.
    Au cours de ses dernières années, il aimait à évoquer
comment les Japonais se saoulaient, et comment leur comportement de la veille
leur était pardonné, précisément parce que l’offensé reconnaissait qu’il avait
été offensé par un individu en état d’ébriété. Vision bien puérile des coutumes
japonaises, mais qui lui procurait néanmoins une sorte de soulagement, tandis
que son orgueil et son alcoolisme l’emportaient toujours plus loin à la dérive.
Il ne connaissait pas le japonais et considérait le Japon comme une fiction,
créant ses propres élucubrations et décryptant les signes selon ses intuitions
personnelles.
    Si l’orgueil permit à Richard de tenir le coup quand il
traversa des périodes difficiles, notamment lorsque ses travaux furent parodiés
et tournés en dérision, cet orgueil ne lui autorisa pour toute défense que ses
amers divertissements et les chiffres astronomiques de ses ventes. Quand ces
chiffres chutèrent, il ne lui resta plus qu’une douleur cuisante à la place.
Puis l’amertume, l’angoisse et enfin une sorte de parano qui lui empoisonnèrent
l’esprit et l’empêchèrent d’accepter la vie et ses joies modestes.
    « Quand la gloire place sous votre rocher son levier de
velours », disait Richard d’un air piteux, et, comme à son habitude, il
faisait encore preuve d’une stupéfiante clairvoyance en parlant de rocher, pour
évoquer son cas. Richard, créature étrange qui errait en liberté dans ce monde,
ce qui n’empêchait pas les gens de l’apprécier et de se montrer protecteurs à
son égard. Mon hypothèse à ce sujet est la suivante : Richard semblait
être un éternel adolescent. Cette qualité rappelait à ses lecteurs cette
période où leur corps change si vite qu’on se sent grand et maladroit, tout
comme Richard. Il semblait ne jamais maîtriser parfaitement son corps, et
n’exerçait sans doute qu’un contrôle partiel sur son imagination débordante.
    Par contre, il était fondamentalement crâneur. S’il avait un
dieu, c’était le dieu Pan. Il adorait la panique, les explosions spontanées
d’émotion qui balayaient son cœur. Une fois, alors qu’il était au téléphone, la
conversation s’est envenimée, il a soudain arraché le téléphone du mur et l’a
jeté dans la cheminée. Quand il a recouvré ses esprits, il s’est rappelé
combien il était difficile de se faire installer un téléphone, l’argent que
cela coûtait… Alors il a essayé de le récupérer, et il s’est brûlé la main.
C’était une des histoires qu’il aimait raconter à propos de lui-même. Autre
façon de faire étalage de ses humeurs.
    Ce penchant pour la théâtralisation de ses propres émotions
attirait certaines femmes. Le plus souvent, c’était quelqu’un capable de
tendresse et de douceur, sensible à l’extrême, toujours à l’écoute des joies et
des chagrins d’autrui… Marcia Clay s’en souvient :
    « Je suis née avec une paralysie cérébrale. Richard
était très compatissant. Il remarqua ma main crispée.
    Moi, je ne voulais pas attirer son attention dessus.
J’enfilais mes montres et bagues à l’autre main, la droite. Un jour, il prit
mes deux mains cérémonieusement et dit : “Cette main droite est très
belle, elle n’a pas besoin de tous ces bijoux. Enfile tes bijoux à l’autre
main, car elle en a besoin. ” »
    Quand il en avait marre, il était capable de n’importe quoi.
Il m’a raconté la fois où, bloqué dans la maison d’un ami, il attendait son
retour. Là-dessus débarque un autre ami, et ils attendent ensemble, buvant
quelques verres pour tuer le temps. Les heures ont passé. Leur ami n’était
toujours pas revenu, si bien que Richard et son acolyte ont entrepris de vider
le frigo et de badigeonner les murs de moutarde, mayonnaise et confiture. Aux
insultes et gestes de mépris, Richard ne réagissait que rarement à chaud. Il
ruminait sa colère. Pour ceux qui le connaissaient,

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