Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
Vom Netzwerk:
l’attaque de Pearl Harbor et c’est ainsi qu’il
aurait pour la première fois fait le rapprochement entre les lettres et la
réalité.
    Il était grand temps de partir. Il me demanda de lui donner
un coup de main pour le rangement, et nous avons transporté ses affaires à son
nouvel appartement.
    Le dernier jour du déménagement, j’ai emmené Perséphone, ma
fille alors âgée de sept ans. En général, les enfants appréciaient
Richard ; ils reconnaissaient en lui un camarade de jeu anarchique, mais
ce jour-là, Perséphone s’était levée du pied gauche. Quant à Richard, malgré sa
gueule de bois, il se montrait plutôt attentionné. Il lui a promis toutes
sortes de glaces chez Enrico, quand tout serait chargé dans le camion.
Perséphone, les promesses, cela lui était bien égal. Maussade, elle est restée
assise dans un coin de la cuisine, une bouteille de Coca à la main, que Richard
s’était empressé d’aller lui acheter en bas, au magasin du coin, le Fast-Food
du Tramway.
    J’ai chargé les dernières caisses à emporter entassées dans
le salon, laissant la chambre entièrement vide, à l’exception de quelques
pièces de monnaie qui traînaient sur le sol. Une habitude de Richard, qui
consistait, chaque soir, à déverser le contenu de ses poches par terre. Dans la
chambre de devant, des pièces, il y en avait de toutes sortes. On m’avait
auparavant raconté comment il avait contracté cette habitude. L’histoire
remontait à la fin des années 50.
    Cela se passait à San Francisco, au printemps, il était sans
le sou, un de ses amis lui avait proposé un boulot d’ouvrier sur un chantier à
Reno. Richard emprunta donc juste assez d’argent pour se rendre à Reno.
Seulement, une fois sur place, on lui annonça que les travaux ne commenceraient
que trois jours plus tard. Et il se retrouva avec juste assez d’argent pour se
nourrir, mais pas assez pour se payer une chambre. La première nuit, il fit une
série de rencontres comiques, dont celle d’un flic de Reno, qui ne cessa de le
retrouver roulé en boule sur les bancs de la ville. Terrorisé à l’idée de se
retrouver derrière les barreaux, Richard partit en stop dans la banlieue de la
ville. Là, il découvrit un vieux fauteuil abandonné dans le fond d’un jardinet
de la périphérie. Pendant trois nuits, il patienta dans le fauteuil, portant
trois couches de vêtements pour se protéger de l’air frisquet de la nuit.
    « Je portais sur le dessus une veste reprisée. Avec
toutes ces épaisseurs, je ressemblais à un communiste chinois. Je vous laisse
imaginer ce qui ce serait passé si ces braves gens du Nevada en avaient
découvert un dans leur cour à leur réveil. »
    A la fin de la première journée de travail, Richard demanda
une avance. Après avoir payé pour la chambre de motel, il était si heureux
d’avoir tout cet argent qu’il vida le contenu de ses poches et arrosa la
chambre de pièces de monnaie. Depuis ce jour, il n’a plus perdu cette habitude.
    Bref, c’était le dernier jour du déménagement, et Richard
faisait face au monde à travers l’un de ses tourbillons mentaux, il avait la
gueule de bois et il était rongé par l’amertume. Plus pour le distraire, lui,
que ma fille, je suggérai qu’il confiât à Perséphone la tâche de balayer le
sol. Richard ne comprit pas immédiatement. Il pensa sans doute à l’exploitation
des enfants en bas âge ou quelque chose dans ce style. Puis il remarqua ce qui
jonchait le sol. Il alla chercher balai et pelle dans son débarras, et les
tendit à Perséphone, qui observait la cuisinière, manifestement au stade ultime
de l’ennui.
    « Perséphone », lança-t-il, « aurais-tu la
gentillesse de passer un coup de balai ? »
    Elle me jeta un coup d’œil implorant, avec cette lueur
interrogative universelle dans les yeux : « Est-ce que je suis
vraiment obligée ? » Je fis oui de la tête. Elle acquiesça, prit le
balai et la pelle.
    « Non, pas le sol de la cuisine », dit Richard en
montrant du doigt, « par terre, là. »
    En passant devant moi, elle m’adressa un de ces regards par
en dessous – « toi et tes copains bizarres, j’m’en
souviendrai » – et traîna le balai dans l’autre chambre.
    Richard, tendu dans l’attente, flottait en pleine extase.
Laborieusement, Perséphone déposa la pelle sur une étagère, puis regarda ce
qu’il y avait au bout du balai. Quel instant merveilleux ! Ses yeux
aperçurent

Weitere Kostenlose Bücher