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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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ses expressions se
figeaient, et ensuite, non sans difficulté, il reprenait son expression
initiale et commençait à remâcher sa revanche. Cela est arrivé une fois pendant
un repas, sur Union Street, où nous déjeunions avec un agent littéraire de la
côte Est. Nous bavardions et buvions. Richard a fait une réflexion sur l’un de
ses premiers livres.
    L’agent a rétorqué à brûle-pourpoint : « Ah !
oui, celui-là, je l’ai eu entre les mains », se rappelant qu’il l’avait
refusé. Il ne faisait aucun doute, à son ton, qu’il considérait encore le roman
comme un produit de qualité inférieure. Cela fait partie de ces coups de dents
qui viennent avec le plus grand naturel dans la bouche des gens du monde
littéraire.
    Richard s’est soudain raidi. Son visage a viré au rouge
betterave. Il a avalé un verre de vin pour cacher sa colère. La conversation
s’est poursuivie, et, quelques minutes plus tard, il a fait remarquer comme si
de rien n’était que le livre dont il avait été question en était à sa dixième
réédition. Il s’est montré étonné, prétendant être aussi surpris que les autres
de sa bonne étoile. A la suite de quoi, sans plus regarder l’agent, il passa
négligemment en revue l’ensemble des tirages qu’avaient atteints ses livres,
tout en suivant des yeux les badauds. Aucun n’était épuisé. Il exécuta ce
numéro avec aisance, se rappelant négligemment des neuvième, dixième, onzième
éditions… Les avances, droits d’auteur et autres droits de traduction.
    Il se livrait à l’un des exercices les plus irrésistibles et
les plus cruels que je lui ai jamais vu faire, car l’agent, malgré lui, ne
pouvait s’empêcher de calculer simultanément les sommes qu’il aurait pu
ramasser, s’il avait touché dix pour cent. A la fin du récital de Richard,
l’agent trouva rapidement un prétexte pour se faire excuser et disparaître.
    Ce fut la seule fois où je vis Richard passer en revue si scrupuleusement
l’aspect financier de ses écrits. Une fois l’agent parti, Richard avala une
gorgée de vin, me regarda avec un léger sourire, et déclara :
    « Il y a un vieux proverbe italien qui dit : la
vengeance est un plat qui se mange froid. »
    La célébrité finit par créer une sorte de diastole dans la
vie d’un écrivain. En un premier temps, de nouvelles expériences affluent, et
il s’agit de réagir et d’intégrer tout cela. Brautigan était heureux de
l’attention dont il faisait l’objet et satisfait de sa récente ascension
sociale. Au début, il essaya d’en faire profiter ses anciens et ses nouveaux
amis. Cela conduisit à des désastres, tant sur le plan social que sur le plan
physique.
    Brautigan invita son ami acteur Rip Torn à Monterey, pour
une partie de pêche à la truite à Big Sur. Torn conduisait une camionnette de
location, avec un kayak à deux places accroché sur le toit. Il paraissait hyper
tendu, nerveux. Il fumait à la chaîne ses cigarettes roulées à la main.
    Chez Price Dunn, Brautigan nous invita à participer à cette
expédition, le frère de Price, Bruce, et moi. Je refusai. Brautigan expliqua à
Rip que Price connaissait chaque centimètre de Big Sur. Je savais pourtant que
Price n’avait pas mis les pieds depuis des années dans les montagnes de Santa
Lucia. Ils couraient au-devant de sacrés problèmes s’ils comptaient sur lui
comme guide. En outre, c’était la saison sèche, et je me demandais bien où
diantre ils espéraient trouver le moindre ruisseau. Pour ce qui était de
pêcher… Il y avait aussi, dans la conduite matinale de M. Torn, un petit
quelque chose d’aléatoire qui ne m’inspira pas confiance et me laissai songeur
lorsque je pensais aux petites routes de campagne de Big Sur.
    Quand ils rentrèrent le soir, les pare-chocs étaient maculés
de craie rouge et de bosses, vestiges des collisions contre les parois du
canyon. Bruce m’informa que Rip avait fait usage du « service de massage
de Big Sur », en guise de technique de freinage, à l’aller et au retour.
    La plupart des ruisseaux étaient à peu près de la taille du
poignet. Cela n’avait pas été aussi divertissant que prévu de se traîner sur
les pentes escarpées couvertes de sumac vénéneux. Pour ce qui était de leurs
prises, Richard l’avait plutôt amère. Tout ce qu’il avait attrapé, c’était un
serpent d’eau.
    Pour faire passer la déception concernant les talents de
guide de Price et Bruce,

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