Byzance

tous les grades ouverts aux eunuques. Neuf ans plus tôt, il avait réalisé son rêve : parakoimoménos, la fonction la plus élevée. Il était responsable de toutes les cérémonies publiques et privées du Palais impérial, c’était lui qui offrait au monde émerveillé le visage de la glorieuse Rome. Mais trois mois après cette apothéose, Rome avait subi le plus cruel des destins, le Pantocrator avait demandé au Bulgaroctone de placer son trône à côté des souverains du ciel. Au début, la dégradation des normes avait été lente. Constantin, le frère du Bulgaroctone, n’était qu’un tyran mesquin, dépensier et paresseux, mais il n’avait pas rompu avec les protocoles impériaux prescrits. Romanos, son successeur, passait pour un homme encore plus vil, mais ses efforts pour transformer sa personnalité de pygmée en une réputation de géant avaient en tout cas fourni les solidi nécessaires à maintenir un semblant de dignité et de décorum impériaux. Mais la bande qui avait dérobé le trône à Romanos ! L’empereur était un brave homme malgré tout, mais complètement dénué de toute culture, comme il fallait s’y attendre étant donné ses origines. Il désirait cependant, à sa manière simple et mal informée, observer les règles. Quant à l’orphanotrophe Joannès ! Là était la source de ce véritable fleuve d’ignominie qui polluait à présent le souvenir de la Rome glorieuse ! Le parakoimoménos jeta un coup d’œil depuis la galerie de l’église Sainte-Marie-Chalkoprateïa, certain que tout serait en bon ordre dans la rue. Deux cents Tauro-Scythes de la Grande Hétaïrie attendaient au garde-à-vous. Le manglavite et l’hétaïrarque flanquaient le porche de l’ancienne basilique. Le Bulgaroctone aurait été fier de ces deux Varègues, songea le parakoimoménos, puis les portes s’ouvrirent et le futur césar apparut dans la longue tunique de soie blanche, symbole du Christ, couronné par une simple tiare de perles et chaussé de bottes pourpres. Derrière cet héritier inattendu, ce centurion qui portait vraiment mal le manteau du Christ, se trouvait le débaucheur de tous les canons de politesse connus dans la Sainte Rome, l’orphanotrophe Joannès.
    Les vivats commencèrent aussitôt. Les responsables politiques avaient fait répéter la foule. « Bienvenue, césar des Romains ! Bienvenue, bras droit de notre Père ! Bienvenue, nouveau luminaire au firmament de la Rome impériale ! » Le manglavite s’avança vers le césar, lui fit franchir le porche de l’église et le conduisit dans la rue ; l’hétaïrarque se plaça à ses côtés. Le parakoimoménos remarqua, horrifié, que l’orphanotrophe Joannès prenait place devant les magisters. Il savait que l’homme avait l’intention de le faire, et il avait même forcé son esprit récalcitrant à visualiser la chose, mais voir cela de ses yeux !…
    Les sonneries et les percussions de l’orchestre parurent railler le parakoimoménos au moment où il prit sa place entre le manglavite et le césar. Le manglavite entraîna aussitôt l’armée multicolore vers le sud sur l’avenue de la Mésé, au milieu d’une immense foule qui psalmodiait des vivats et lançait des pétales de fleurs. La procession traversa la vaste place de l’Augustaïon, passa sous l’immense statue équestre de l’empereur Justinien et sortit dans le jardin devant Sainte-Sophie. Au moment où les coupoles immenses de l’église mère s’élevèrent au-dessus de lui, le parakoimoménos rassembla tout son courage pour s’apprêter à supporter ce qu’il verrait à l’intérieur. Un tel scandale que l’immense dôme risquait de leur tomber sur la tête ce matin même. Au long des siècles de la grandeur de Rome, qui, en dehors de l’autorité suprême sur terre, avait été couronné à Sainte-Sophie ? Et pourtant, en cette journée, le fils d’un calfateur de bateaux recevrait sa couronne directement des mains du patriarche – et non, comme il était saintement prescrit, des mains de l’empereur. Encore heureux que l’orphanotrophe Joannès n’ait pas insisté pour que le diadème impérial soit posé directement sur sa tête monstrueuse ! Les principes. Aujourd’hui le monde n’avait plus aucun sens.
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    La coupole centrale de la grande basilique s’élevait comme un pic au-dessus du massif de la façade occidentale de Sainte-Sophie. Haraldr se concentrait sur la cadence inflexible de ses pas, sans