Byzance
prêter l’oreille aux autres rythmes, aux psalmodies de la foule, aux roulements des timbales. L’heure précédente avait sans doute été le moment le plus bouleversant de sa vie, à part Stiklestad. Aujourd’hui, dans les rues, il avait compris l’émotion fondamentale qui animait cette foule, la certitude qu’un Dieu s’avançait parmi elle. Peu importait qui était cette nouvelle divinité, ni d’où elle venait ; le simple fait que cet homme marchait dans les bottes de pourpre de la Rome impériale suffisait à susciter un émerveillement inexprimable. Et sous cet émerveillement, un autre courant d’émotion animait la foule, courant si puissant que Haraldr l’avait senti tourbillonner autour de lui à chaque pas de la procession : la peur.
Le patriarche Alexios attendait sous le porche de Sainte-Sophie, escorté par les centaines de prêtres et de diacres qui formaient le clergé de la basilique. Enveloppés de plusieurs couches d’aubes, d’étoles, de robes et d’écharpes brodées, parés de joyaux, les prêtres réunis semblaient un trésor incarné. À la différence des prêtres, qui étaient tête nue, Alexios portait une haute couronne de perles, de pierreries et d’or ciselé. Au-dessous de ce dôme miniature, ses minuscules yeux noirs semblaient créer devant son visage un tourbillon qu’aucun homme ne pourrait pénétrer sans trembler. Michel frissonna quand il se pencha pour baiser le reliquaire de pierreries suspendu à une chaîne d’or et de rubis au cou du patriarche.
Alexios prit la tête de la procession qui entra dans l’église mère. Le bâtiment qui, du dehors, semblait aussi massif qu’une montagne, n’était que lumière pure et couleur diaphane à l’intérieur. De chaque côté de la nef, sur deux niveaux, des colonnes massives étaient métamorphosées par la lumière en bandes flottantes de vert mousseux, de rose et de mauve. À l’endroit où les colonnes auraient dû s’élargir pour recevoir le poids des structures au-dessus d’elles, elles se dissolvaient en une dentelle de feuilles et de rameaux. Les voûtes qui flottaient au-dessus de cette écume sculptée formaient des halos de mosaïques scintillantes. Au-dessus des énormes arcades, les murs étaient percés de nombreuses fenêtres qui semblaient de vastes draperies de soleil ; et au-dessus de ces murs, suspendu à telle hauteur que l’on ressentait sa présence sans voir sa totalité, s’élevait un dôme aussi vaste que le ciel, un dais d’or pur qui paraissait flotter lui aussi au-dessus du chœur colossal. Pendant un instant, Haraldr eut l’impression vertigineuse qu’il était emporté dans les deux par la lumière éblouissante du Christ Roi.
Alexios se dirigea vers le fond oriental de la nef, où au-dessous du grand dôme s’élevait l’ambon revêtu d’argent et d’ivoire et surmonté d’un baldaquin couvert de feuilles d’or. De la voûte à l’intérieur de la tour, un chœur d’enfants en robe blanche emplissait la grande église de vibrantes mélodies. Alexios monta les marches de marbre couleur pourpre de l’ambon, ceint d’une balustrade d’argent massif décorée en ronde bosse de feuilles de lierre et de fleurs aux étamines ornées de saphir. Au milieu se trouvait une table d’or sur laquelle on avait placé plusieurs vêtements de soie écarlate bordés d’or. Alexios bénit ces vêtements, puis le parakoimoménos escorta Michel vers la table d’or et aida le césar désigné à se vêtir : tout d’abord la robe portant l’aigle en médaillon, puis un manteau et enfin un long pallium semblable à une écharpe, raidi par des pierres précieuses et des plaques d’émail cloisonné. Au cours du rituel, Michel récita les prières prescrites d’une voix qui tremblait.
Puis Alexios enleva sa propre couronne, qu’il plaça sur la table servant d’autel, et prit un diadème de diamants et de perles. Il s’avança comme en un rêve et tendit le diadème très haut pour que tous le voient.
— Par l’autorité que m’a conférée le Christ couronné dans le Ciel, psalmodia-t-il en prolongeant chaque syllabe, je confère cette couronne sur la terre.
Michel s’avança, la tête baissée, les mains croisées sur la poitrine. Alexios lança à la tête nue, humble, de Michel un regard si rageur que Haraldr se demanda s’il n’allait pas frapper le jeune homme. Le patriarche tint le diadème très haut au-dessus de la tête du nouveau césar. Les
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