Byzance

les circonstances, les fortunes de notre empire séculier – et celle de mon empire spirituel menacé – ne peuvent aller que de mal en pis. L’époux de votre sœur a écouté le Christ d’une oreille et le démon Joannès de l’autre : telle est la source du tourment qui est en train de détruire son corps, sinon son âme immortelle. Je prie pour qu’au moment où cet empereur suppliera le tribunal céleste, il trouve le pardon. Mais quand le césar héritera le diadème impérial, il n’écoutera que Joannès, et son âme subira les flots de feu du châtiment éternel.
    Théodora se signa.
    — Mon père, vous ne pensez tout de même pas que l’empereur soit si près de la mort. Il va se rétablir, c’est certain. C’est un homme extrêmement robuste.
    Alexios caressa sa barbe argentée.
    — S’il se rétablit, ce ne sera pas de sitôt ; et pendant sa maladie, il aura cédé à Joannès tout ce qu’il possède d’autorité, et peut-être son âme. Mon enfant, votre amour pour votre sœur est un exemple de charité chrétienne, et je prie moi aussi pour son âme chaque matin et chaque soir. Mais Joannès a manipulé les objets des concupiscences de votre sœur pour réduire son peuple à la servitude. Peu importe pour le peuple souffrant de Rome que nous soyons gouvernés par Michel, l’empereur actuel, ou par ce nouveau Michel, le césar. Ce qu’il sent sur sa nuque, c’est la botte de Joannès. Mais tant que votre sœur continuera de placer ses désirs charnels au-dessus des obligations de sa naissance dans la pourpre, son peuple souffrira ce fléau dans la soumission. Dieu cependant ne supportera pas ce scandale avec une patience infinie. Il a déjà couronné l’évêque de l’ancienne Rome et son filioque blasphématoire pour nous mettre en garde contre nos transgressions.
    Alexios étudia le visage troublé de Théodora ; l’expression de son chagrin semblait presque enfantine. Enfin, le patriarche montra de la main les murs nus de l’appartement et pendant un instant ses anneaux d’or prirent la lumière.
    — Mon enfant, votre richesse spirituelle a augmenté en ce lieu d’exil.
    — Oui. Le Palais ne me manque pas. Je préfère rêver aux demeures du Seigneur.
    Les lèvres minces, élégantes, d’Alexios s’entrouvrirent en un sourire d’une chaleur sincère, mais ses yeux sombres demeuraient toujours aussi menaçants.
    — Je suis certain que vous serez bien reçue dans ces demeures. Par votre dévotion à Notre-Seigneur, vous êtes semblable à votre sœur Eudoxie que le Pantocrator garde son âme dans Son Éternelle Lumière – bien qu’elle soit venue à la foi trop tard pour sauver son enveloppe mortelle des conséquences de son péché.
    Cette remarque parut surprendre Théodora ; son visage conserva son innocence, mais ses yeux devinrent méfiants, inquiets, comme ceux d’une proie surprenant l’animal qui la traque.
    — À la vérité, continua Alexios, je vois vos pas suivre exactement ceux du Christ. Mais le Christ vous a également chargée de suivre une autre voie. Il vous a conféré une responsabilité particulière à l’instant de la conception de votre âme et Il vous met maintenant en garde. Vous avez quitté cette voie. Je n’ai pas besoin de vous dire que Christ le Pantocrator, couronné dans le ciel, a été également couronné ici sur terre.
    Les yeux bleu clair de Théodora se détournèrent.
    — Oui. La couronne que Pilate lui a donnée. Une couronne d’épines.
    — Notre-Seigneur a accepté la couronne d’épines parce que sous ce diadème de souffrance, il pouvait conduire l’humanité à la résurrection et à la vie éternelle, reprit Alexios avec un sourire de sympathie. Mon enfant, toutes les couronnes de ce monde sont des couronnes d’épines. La mienne me fait saigner en ce moment même. Le Christ s’est vu offrir tous les royaumes du monde si seulement il acceptait de tomber à genoux devant Satan. Nous qui régnons sur le monde devons nous détourner de ces tentations et accepter seulement la couronne qui nous vaudra les faveurs du royaume des cieux. Et cette couronne est la souffrance.
    — J’ai renoncé, moi aussi, aux royaumes de ce monde.
    Les yeux d’Alexios bondirent.
    — Non. Vous avez renoncé à la couronne qui apporte seulement du sang, de la douleur et la mort à votre front. Et en agissant ainsi, vous avez refusé à votre peuple tout espoir de résurrection. Vous êtes née dans la pourpre,