Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
« Jamais les Russes ne peuvent croire qu’un ministre de l’Intérieur puisse dire des choses de cette nature sans en référer au chef de l’État, surtout quand celui-ci est un ami. Il y a des limites à ne pas dépasser ! On peut attaquer n’importe quel dirigeant communiste français, mais pas dire du mal d’un dirigeant soviétique ! »
Conclusion amusée – et polémique – d’Edgar : « Dieu merci, pour les Russes, Mitterrand est ce qu’il y a de pire ! Mais, si les socialistes avaient un autre leader à leur tête, je ne donnerais pas cher de Giscard ! »
À propos de Giscard et de son optimisme, il raconte l’anecdote du chef selon, dit-il, Oscar Wilde : « Un jour, il y a un incendie dans un théâtre. Un chef monte sur la scène et dit : “Messieurs et mesdames, restez calmes, rasseyez-vous !” Subjugués, les spectateurs se rassoient à leurs places. Et tous furent brûlés ! »
Hier, le 8, Jean-François Deniau vient boire un verre chez Roger Stéphane, tard dans la soirée. Il est tout à fait décontracté, car, paraît-il, Giscard lui a dit récemment qu’il ne serait pas ministre des Affaires étrangères à l’occasion du prochain remaniement. Il parle durenouveau des classes sociales en URSS et raconte cette anecdote survenue après un spectacle du Bolchoï, à Moscou, auquel il a assisté. Les spectateurs arrivent avec leur chapka et leurs chaussures de neige au théâtre. À l’entrée, ils laissent l’un après l’autre chapeau et chaussures au vestiaire. Après le spectacle, catastrophe, parce qu’ils quittent tous la salle en même temps : ils doivent se mettre en rang et attendre trois quarts d’heure pour qu’on leur restitue leurs précieux accessoires... sauf quelques-uns d’entre eux qui ont loué des jumelles de spectacle. Ceux-là, traités à part, brandissent leurs jumelles de location comme des sauf-conduits, passent devant tout le monde, rechaussés et recoiffés les premiers. Le problème, ce n’est pas que les jumelles coûtent cher : leur location ne coûte que quelques kopecks. Mais seules les huiles de l’intelligentsia en louent, seuls ceux qui peuvent prétendre au symbole de la paire de jumelles !
13 juillet
Voyage en Auvergne de Valéry Giscard d’Estaing. Dans la sacristie de La Bourboule règne le plus grand affolement : le curé n’a été prévenu par les services de la préfecture que vers 9 heures du matin. Visiblement, il ne « collabore » pas avec les services de sécurité. Les cloches sonnent tandis que les enfants de chœur se trompent de burettes. C’est une messe pop : tout cela manque terriblement de recueillement, on applaudit Giscard d’Estaing à l’intérieur même de l’église.
L’évêque de Poitiers parle du rôle vital de la famille, de l’enfant, et Giscard, dehors, sous un soleil accablant, continue sur ce registre : l’avenir de notre société dépend du maintien de la cellule familiale, la famille est une institution indispensable au bonheur des Français. Conclusion : le gouvernement a décidé de proposer aux Français une politique globale de soutien à la famille, et c’est Simone Veil qui a pour mission de la proposer aux Français.
Est-ce pour faire oublier à ses électeurs la majorité à 18 ans et la loi sur l’avortement que Giscard a choisi d’axer son voyage en Auvergne sur la famille ? Sans doute. Le voilà en tout cas parlant une langue que sa majorité comprend !
20 juillet
« Regardez, dit Michel Debré, dans le terrain de camping, là, à deux pas, sur la Loire, il n’y a que des Allemands ou des Hollandais. Ce qui prouve que, dans les pays où l’on aborde de front les problèmes économiques, on vit beaucoup mieux qu’ailleurs... »
Je suis à Montlouis-sur-Loire où j’interviewe Michel Debré. À quelques kilomètres, Amboise et son château. Tout près, la Loire majestueuse.
La Loire passe au ras du jardin de la maison de Michel Debré. Une maison rénovée sans être dénaturée. Une petite bonne réunionnaise de 18 ans ouvre la porte, trait d’union entre les deux fonctions de l’ancien Premier ministre du Général : le député de La Réunion est aussi, et presque avant tout, maire d’Amboise, ville de 11 000 âmes sur lesquelles il veille avec un soin jaloux. Comme tout ce qu’il fait, il le fait avec soin. Chaque week-end le ramène à Montlouis ou à Amboise. « Les vins d’honneur, dit-il, j’évite autant que je le
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