Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
Mitterrand croit aujourd’hui que la victoire est plus proche que jamais. Que, dans ces circonstances, l’attitude des petits jeunes du Ceres l’insupporte, car elle préfigure de façon dramatique ce qui se passerait si le PS accédait au pouvoir. D’où son exaspération. Dommage, car il consacre en ce moment, dit Hernu, « toute son énergie à lutter contre le Ceres, c’est-à-dire tout son temps à lutter contre une poignée d’irresponsables ! »
2 juillet
Déjeuner avec Cannac. Il ne comprend pas que la presse trouve insipide, et pour tout dire très mauvaise, la dernière prestation de Giscard à la télévision. Giscard a voulu décontracter, décrisper l’atmosphère. Tout l’objectif était de dire : la situation est sérieuse, mais pas dramatique.
Il a raté son coup – c’est la première fois.
8 juillet
Conférence de presse de Mitterrand. L’objectif, après l’échec de Giscard, le 2 juillet, est d’enfoncer le clou avant que la France, qui en était sortie, rentre dans le serpent monétaire européen. « Quel sens cela a-t-il ? demande-t-il. La France rentrera dans le serpent le 10 juillet sans corriger la parité actuelle franc/dollar. » Il parle de l’impasse budgétaire, réclame des mesures de relance de la consommation, la création de 130 000 emplois publics, une réforme fiscale immédiate. Fourcade a échoué avec ses paris monétaires perdus, Chirac en matière d’emploi, avec les 835 000 chômeurs annoncés, ce qui, selon Mitterrand, est loin du compte réel.
Le point le plus intéressant tourne autour de la question que lui pose Raymond Barrillon, du Monde , sur un rapport de Georges Marchais au comité central du 29 juin 1972, rendu public par le PC et publié par Le Monde d’aujourd’hui. Le texte de Marchais fait état de la méfiance du PC envers le PS. Il juge notamment dangereux de se faire la « moindre illusion » sur la « sincérité de l’engagement » des socialistes. Question à Mitterrand : entre 1972 et 1974, le PC vous a-t-il donné des raisons de penser qu’il se méfiait ?
Réponse : « Le PC s’était déjà trompé après Épinay, il avait jugé que le congrès revenait sur l’acquis, c’est-à-dire sur le bilan des conversations de 1970. La preuve du contraire a été faite par l’Histoire. Le PC s’était donc trompé en juin 71. L’année suivante, en juin également – juin n’est pas le meilleur mois pour les communistes ! –, Georges Marchais trouve que le PS n’est pas sincère. Deux erreurs n’en interdisent pas une troisième. Le PC a recommencé en octobre 1974. Comme ces trois erreurs n’ont pas empêché le PS et le PC de pratiquer l’union de la gauche sur le programme commun, je ne m’inquiète pas de la quatrième erreur. Nous ne jugeons personne, nous, sur les arrière-pensées : le poids des arrière-pensées serait si lourd ! il n’y a pas de corps chimique d’une densité équivalente ! »
Son ironie doit rendre fous les dirigeants du PC. Mais c’est sa liberté à lui, apparemment, qu’il sauvegarde en maniant des mots qui suscitent les sourires de la presse.
9 juillet
Déjeuner avec Edgar Faure. Plusieurs points intéressants :
D’abord, sur les relations franco-soviétiques. Il parle d’une dégradation des relations entre les deux pays. Pourquoi ? Il y a d’abord eu l’affaire du 8-Mai, fête supprimée par Giscard. Or, cette fête de la Victoire, pour les Russes, dit Edgar, c’est la « kermesse du curé ». « Le jour de la kermesse, Giscard leur dit – ou dit à Schmidt, plutôt, ce qui est encore pire – : “La kermesse, c’est terminé !” Ils l’ont très mal pris, car ils y ont vu une agression caractérisée contre eux, de nature à signifier la volonté de Valéry Giscard d’Estaing de mettre du champ entre les deux pays. »
Deuxième occasion de froid entre la France et la Russie, d’après ce qu’un responsable du Quai d’Orsay a dit hier à Edgar Faure : les Allemands exercent une telle pression pour que la France réintègre l’OTAN que les Soviétiques craignent qu’ils ne finissent pas convaincre Giscard.
Edgar parle aussi, pour expliquer ce mauvais climat entre Paris et Moscou, des « incartades de Poniatowski ». Celui-ci, dans un de ses derniers discours, à Salon-de-Provence, a laissé entendre que les communistes soviétiques intervenaient dans les affaires internes du PC français. Commentaire d’Edgar Faure :
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