Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
seulement, il croit pouvoir récupérer les socialistes, ou du moins une partie d’entre eux.
Quant à la majorité, son unité passe avant le développement de chacune de ses composantes : l’UDR reste l’appareil de mobilisation électorale, les républicains indépendants ne sont pas en état de le faire. L’opération centriste, sur laquelle Cannac avoue nourrir desdoutes, ne s’explique que par la nécessité de prendre une initiative politique avant les élections. Si cela ne sert à rien, cela ne peut pas faire de mal. De toute façon, ce qui sera important en 1978 sera de faire élire des députés de la nouvelle majorité présidentielle, pas des UDR, des centristes ou des républicains indépendants.
Nous parlons des cantonales. Comme Giscard, Cannac regrette que la gauche et la presse veuillent en tirer des conséquences politiques. « Les résultats ne seront pas parlants, assure-t-il. Quels qu’ils soient, les réformes prévues seront abordées sérieusement, selon le schéma prévu, en 1976 et 1977. Le président n’a pas l’intention de les différer : les plus-values, l’entreprise, le logement, les collectivités locales, tout cela fera l’objet de réformes, à leur rythme. La réforme sur les plus-values effraie la majorité ; celle du logement, en revanche, est une des plus populaires, puisqu’elle consiste à faciliter l’accès à la propriété et à accorder l’aide publique aux plus pauvres. Giscard a la conviction que chaque réforme prise isolément suscite des protestations, mais qu’il faut y accorder peu d’importance. Ce qui est essentiel, c’est qu’il n’y ait aucun doute, dans l’esprit des Français, sur la capacité de la majorité à faire des réformes. D’autant que, dans tous les projets dont nous parlons, aucun ne peut opposer les gaullistes et les centristes. »
Reste l’Europe, lui dis-je, qui semble, elle, séparer les gaullistes des autres composantes de la majorité. « Quel risque réel court la majorité à ce sujet, pouvez-vous me le dire ? »
Il n’imagine pas que les gaullistes pourraient être tentés de quitter la majorité – et d’ailleurs, pour quoi faire ? Au sujet de l’Europe, elle sera obligatoirement et avant tout l’Europe des États.
La conversation se termine, comme toujours à l’Élysée en ce moment, par l’affirmation que Chirac est le meilleur Premier ministre que puisse avoir Giscard.
7 mars
Premier tour des élections cantonales. Poussée de la gauche, reflux de la majorité.
9 mars
Rencontré Marie-France Garaud, le surlendemain du premier tour des cantonales. Selon elle, il s’agit d’un tournant capital pour la majorité : « Celui, dit-elle, que nous sommes quelques-uns à annoncer depuis un an ! »
Qu’est-ce qui a joué en faveur des socialistes ? se demande-t-elle ? Sa réponse : « D’abord, Mitterrand et les socialistes, qu’on le veuille ou non, présentent une image ronde, pleine, positive, d’une société à construire. Ce qui n’est le cas, dans la majorité présidentielle, ni du président, ni du Premier ministre. La “société libérale”, avancée ou pas, n’a pas été bien reçue pas les Français. Pour eux, le mot libéral est synonyme du “laisser faire, laisser passer”, c’est-à-dire que le mot évoque une idée de réaction et de désordre. C’est un mauvais slogan ou, en tout cas, un slogan insuffisant. »
D’après elle, le succès socialiste a été accéléré par plusieurs facteurs. D’abord, la disparition du centre d’opposition. « J’ai tout fait, dit-elle, pour que Michel Jobert occupe ce terrain, il ne l’a pas voulu. » Ensuite, et paradoxalement, par la polémique entre le Parti socialiste et le Parti communiste. La thèse de Marie-France Garaud est que les centristes d’opposition n’ont eu aucun mal à voter pour les socialistes dès le premier tour, puisqu’ils ne croient plus qu’à demi à l’alliance entre deux partis qui s’agressent autant. Sa conclusion : la majorité n’est plus la majorité dans ce pays. « C’est une chose de le dire à trois ou quatre, un soir, en prenant un whisky dans le bureau du Premier ministre ; c’en est une autre de le voir écrit dans tous les journaux depuis lundi matin. »
Alors, que doit faire, selon elle, la majorité ? Proposer d’elle une image dynamique et séduisante. Reprendre le contact avec les réalités : « C’est la première fois, depuis la noblesse
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