Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
être votée à la prochaine session parlementaire, la réforme de l’entreprise achevée à la fin de l’année. »
« Vous voyez bien, lance-t-il avec un large sourire à ses invités en les quittant, c’est moi qui pousse aux réformes ! »
À condition, il l’a dit, qu’on en sorte le plus vite possible...
11 mars
Giscard l’appelait « Gavroche ». C’est une des premières confidences que me fait Albert Voilquin 11 , député giscardien moyen qui fait preuve d’un grand bon sens et montre une évidente facilité à dire les choses. Il vient de se présenter au premier tour des élections cantonales dans les Vosges et me dit que, dans son canton, les résultats sont difficiles à interpréter, car il a été lui-même radical-socialiste, il a battu un UDR en 1958 et s’est rallié aux républicainsindépendants en 1962. En attendant le 14 mars 12 , il me livre ses impressions sur le premier tour :
« Je fais partie de ces braves naïfs, me dit-il, qui n’avaient pas perçu l’impact politique que socialistes et communistes donnaient à cette élection. Je le perçois aujourd’hui. Depuis quatre, cinq ans, les socialistes se sont structurés dans les Vosges : ils ont des noyaux dans chaque canton, ils récoltent le fruit de cette structuration. Nous, dans la majorité, nous avons vécu dans la pagaille et dans la division. Nous sommes localement trop loin les uns des autres, voilà ce que nous payons. Nous n’avons pas assez l’impression qu’il faut former un tout. Jean-Jacques Servan-Schreiber a raison lorsqu’il dit qu’il y a encore beaucoup à faire pour organiser le sursaut. »
Il fait partie de ces députés locaux intéressants, parce qu’on ne les entend pas souvent, très sensibles au thème de la régionalisation, de la décentralisation. Il attend tout de Paris, mais cela ne l’empêche pas de dire : « Tant qu’on gouvernera de Paris, avec des gens certes animés des meilleures intentions, mais qui n’ont pas le même genre de vie, la majorité sera remise en question. Songez-y : le 1 er mars, le gouvernement a annoncé 15 % d’augmentation du gaz et de l’électricité ! Et ce, à la veille des cantonales ! Catastrophique ! Chacun fait ce qu’il peut, on ne peut pas mettre en doute l’esprit de réforme du président de la République ni l’intelligence du Premier ministre, mais il faut repenser notre manière de faire au sein de la majorité : il y en a assez de se lancer à la figure des arguments, assez des divisions du passé ! Par exemple, après le 7 mars, je vois autour de moi beaucoup de gens satisfaits de la percée des républicains indépendants, comme le sont mes proches. Moi, je serais beaucoup plus heureux si cette percée s’était faite au détriment de l’opposition et non pas à celui d’une composante de la majorité, l’UDR ! »
C’est la poussée de la gauche qui lui a fait l’effet d’un électrochoc. Après m’avoir minutieusement décrit les manœuvres de rapprochement entre les composantes de la majorité entre le premier et le second tour qui aura lieu demain, il me répète : « La majorité a explosé, comme on aurait pu s’y attendre, sauf qu’on ne s’y est pas attendu. »
« J’exprime les sentiments de la vieille garde des républicains indépendants, me dit-il pour finir. J’ai une fidélité inébranlable à l’égard du président de la République. Pourtant, je ne suis parfois pas d’accord avec la direction des RI. Trop de choses tombent de Paris sans aller-retour avec nous. Si Paris n’impose rien, ce sera la pagaille, je veux bien le croire. Mais il faut que les dirigeants au sommet tiennent compte du pays, qu’ils prennent notre pouls à nous ! »
Vu dans la soirée Françoise Giroud, qui a participé hier (10 mars) au dîner du gouvernement autour de Giscard. Elle a été choquée par le discours de Christian Bonnet 13 , qui a mis en boîte, pendant le repas, tous les représentants français du monde agricole en les décrivant avec pittoresque, certes, mais comme s’ils appartenaient à un autre monde que le sien. Choquée aussi, dans le même sens, par ce qu’a dit Giscard quatre jours après le premier tour des cantonales : il a brocardé les électeurs, le suffrage universel, les assemblées élues, leur versatilité. Il a raconté pour la énième fois l’épisode des jeunes parlementaires, dont il était, qui se sont posés, au début de l’année 1958, la question
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