Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
d’appeler de Gaulle au pouvoir. Il cite le cas de Jean de Lipkowski, qui, seul parmi eux, gaulliste de cœur et d’esprit, était réellement favorable au retour du Général.
« Que croyez-vous qu’il arriva ? demande Giscard à la cantonade. Les gens étant ce qu’ils sont, Lipkowski a été battu aux élections législatives qui ont suivi ! »
Françoise a trouvé que, après une défaite comme celle du 7 mars, Giscard aurait pu s’abstenir de mettre en cause le suffrage universel.
14 mars
Deuxième tour des cantonales 14 . Il confirme le premier : progression plus que sensible des élus de gauche, y compris communistes. Il n’y a pas eu le moindre reflux entre le premier et le deuxième tour,la tendance s’est bel et bien vérifiée. À partir du premier calcul que j’effectue le soir même, j’arrive aux chiffres de 861 conseillers généraux à droite (divers modérés favorables compris), et de 840 à gauche (dont 464 au seul Parti socialiste, ce qui en fait le plus grand parti de France, comme dirait Mitterrand, même s’il ne s’agit là que de cantonales).
L’addition du ministère de l’Intérieur en fin de soirée est à peine différente : Ponia arrive à 870 élus cantonaux pour la majorité, 810 pour l’opposition, et à une petite centaine de conseillers généraux non classés.
Qu’il s’agisse de mon calcul rapide ou de celui de Ponia, majorité et opposition sortent de ce scrutin au coude à coude.
15 mars
J’avais déjà vu entre les deux tours Marie-France Garaud, qui m’avait fait part de ses conclusions, et Jacques Toubon, que je revois aujourd’hui. Après ces deux conversations, confortées par les résultats du deuxième tour des cantonales, je suis persuadée que le problème Chirac se posera avant longtemps.
« C’est difficile, dit Toubon, pour Chirac, de parler en chef aux trois autres chefs de la majorité, quand Durafour se prend pour le futur Premier ministre, quand Lecanuet fait semblant de ne rien comprendre et se fiche de toute manière éperdument de tout, et sans oublier Ponia qui est Ponia ! »
Ce n’est pas une boutade, c’est même la stricte vérité : Chirac est incapable de dicter sa loi parce que les moyens lui en sont refusés. Non pas, sans doute, de par la volonté de Giscard, mais tout simplement par une situation politique de fait. Or, s’il n’a pas tous les moyens, ou s’il ne peut pas les mettre en œuvre, ce qui revient au même, c’est tout le sort de la majorité et peut-être de la présidence de Giscard qui est remis en cause. Marie-France Garaud ne dit pas autre chose : si Chirac n’a pas les moyens d’imposer son rythme à la lutte politique, il faut qu’il se retire et que le président nomme quelqu’un d’autre à qui il ne refuse pas les moyens de combattre politiquement.
Marie-France tient certainement ces propos pour que tous les pouvoirs soient donnés une bonne fois à Chirac ; et elle veut faire pression sur Giscard en disant cela. Je ne pense pas une seconde qu’ellemise sur une démission de Chirac. Reste que je vois ce dernier menacé. Pourquoi ? C’est un peu injuste, en effet, car il n’est en rien responsable des résultats du scrutin ; toutefois, ces élections apparaîtront comme son échec. Il n’aura rien vu venir, rien « impulsé ».
Paul Granet, que je vois plus tard dans la journée, a eu une conversation avec le président, ce jeudi, pendant ou après le dîner gouvernemental. Giscard a bien évidemment abordé les résultats des cantonales en disant plusieurs choses. Il pense d’abord que c’est une élection de type poujadiste : l’union des mécontents a voté en faveur de l’opposition. Il admet que la disparition des centristes d’opposition a été un handicap pour la raison donnée plus haut par Marie-France Garaud : les électeurs qui auraient voté pour un centriste d’opposition ont directement voté pour les socialistes. Giscard, insiste Paul Granet, a ajouté un troisième élément : la candidature unique de la majorité est apparue comme une mauvaise chose, car elle n’a pas permis à chacune de ses composantes, surtout au centre, de faire le plein de ses voix.
Cela étant, le gouvernement va mal : la bagarre entre Ponia et Chirac est maintenant officielle, les ministres naviguent de l’un à l’autre pour ne pas risquer de déplaire. Michel Durafour, Jean-Pierre Soisson et Lionel Stoleru 15 , qui sont à trois sur le même ministère,
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