Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
d’Empire, dit-elle, que la France est exclusivement gouvernée par des technocrates ! »
Proposer une image de la société, savoir à qui l’on s’adresse, ne pas promettre toutes les chimères à la fois, ne pas vouloir poursuivre tous les électorats en même temps. Proposer une société du risque, de la concurrence, de l’investissement, de l’entreprise, pas une société molle où tout est garanti.
« Les trois risques qui devraient être couverts pour qu’une majorité de Français soient rassurés sont le premier emploi, la garantie maladie, la garantie contre la maladie économique, c’est-à-dire contre le chômage. Surtout ne pas faire une société d’assistés, poursuit-elle,mais, au contraire, une société de responsables. Nous ne pouvons pas payer pour tout le monde : pour les viticulteurs qui plantent des vignes et font de la piquette, pour les chômeurs qui préfèrent vivre sur une indemnité confortable plutôt que de se mettre à chercher du travail. »
Politiquement, faut-il changer l’organisation de la majorité ?
« Certes, me répond-elle. Car que voit-on, dans cette majorité ? Un centre inexistant, des républicains indépendants qui ne parviennent pas à s’implanter dans le pays, et des UDR qui se cherchent un chef. »
« Oui, conclut-elle sans beaucoup d’imagination (je l’attendais là), il faut un chef à la majorité. Dans ce cas, plusieurs hypothèses. Ce chef peut-il être Giscard ? Les inconvénients sont énormes : si la majorité perd les législatives, c’est Giscard qui est battu. Il faut réfléchir avant de faire cela, surtout après la défaite aux cantonales. Deuxième solution : que le Premier ministre Jacques Chirac conduise la majorité et qu’on lui en donne les moyens. C’est-à-dire qu’on ne lui tire pas dans les pattes. Sinon, nous aurons, à nous tous, 25 % dans deux ans. Les RI et l’UDR seront peut-être à égalité, mais avec 10 % chacun !
« Si le Premier ministre n’arrive pas à s’imposer à la majorité, alors il faut changer de Premier ministre. Il faut prendre Ponia, Lecanuet ou Durafour, mais quelqu’un qui conduise la majorité, qui prenne les coups et qui les rende. Si Chirac n’arrive pas à remplir sa mission, il ne nuit pas seulement à lui-même, il nuit d’abord au président de la République ! »
Je sors de cet entretien en me disant que j’ai compris pourquoi Chirac avait volontairement politisé les cantonales : pour démontrer qu’en l’état actuel il ne peut rien faire. À moins que Giscard ne lui mette cette défaite sur le dos, ce qui est toujours possible...
9 mars
Guy Claisse a déjeuné à Matignon chez Chirac avec d’autres éditorialistes. Il me fait part de ses impressions toute chaudes en en sortant.
Chirac admet l’existence d’un mouvement vers la gauche, provoqué en partie, dit-il, par le transfert d’une fraction de l’électorat populaire de l’UDR vers le Parti socialiste.
« Il y a aussi, est-il convenu, un problème d’hommes : les socialistes avaient souvent de meilleurs candidats que nous. En Corrèze, où Mitterrand, en 1974, avait fait 56 % des voix, je tiens le coup parce que j’ai de bons candidats, et j’aurai trois députés de la majorité en 1978 ! »
Il dit aussi que Ponia a commis une erreur – « une de plus » – en parlant, dimanche soir, d’une progression des républicains indépendants. Les militants UDR seraient, selon Chirac, furieux et refuseraient de faire campagne pour les candidats RI au second tour.
Il faut désormais, selon le Premier ministre, réviser la tactique de la majorité pour essayer de gagner les futures législatives, à défaut de gagner les cantonales. L’UDR, dit Chirac, est presque unanimement favorable à des « primaires » généralisées.
« Je crois pour ma part, ajoute-t-il, que l’UDR n’a rien à perdre aux primaires, mais, en tant que responsable de la majorité, je me demande si la majorité y gagnerait ou y perdrait. La question dans mon esprit n’est pas tranchée. »
Il se déclare partisan dans presque tous les cas du renouvellement des investitures aux députés sortants. Il est même très ferme sur ce point.
Il juge qu’il faut très vite se débarrasser – avant 1977, en tout cas – de la réforme de l’entreprise et de la taxation des plus-values. « Plus tôt on fera avaler la pilule à notre électorat, mieux cela vaudra ! La taxation des plus-values devrait
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