Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
s’entredéchirent sans que l’on sache exactement qui fait quoi.
Même émiettement des responsabilités autour d’André Fosset, ministre avec ses trois sous-ministres : Pierre Mazeaud, Jacques Médecin et Paul Granet 16 . Médecin est fâché avec Fosset, il ne lui parle plus ; Mazeaud se demande pourquoi il est là ; Paul Granet fait ce qu’il peut : on imagine les réunions de concertation à quatre !
Ajoutons que Galley et Fosset 17 se détestent et que les accrochages entre eux sont incessants.
Jeudi dernier, un déjeuner réunit Fosset, Michel d’Ornano 18 et Robert Galley sur le thème des centrales nucléaires. Au bout de quelques instants de conversation, d’Ornano éclate sur le thème :Vous êtes tous des rigolos, le responsable du nucléaire en France, c’est moi ! Tout le monde m’emmerde, vous m’emmerdez tous, spécialement les membres de vos cabinets respectifs, etc.
Le conseiller technique de Fosset voit rouge et, sans demander l’avis de son ministre, quitte le déjeuner en claquant la porte. Pendant que d’Ornano continue à se disputer avec Fosset, le directeur de cabinet de ce dernier dit à Paul Granet, qui commence à trouver la fête assez désagréable : « Ne t’en mêle pas, ce sont deux républicains indépendants qui se bagarrent, laissons-les faire ! »
Autre anecdote : l’autre jour, au petit déjeuner des ministres UDR, chez Chirac, c’est Robert Galley qui se singularise : « Ah, dit-il la première tasse de café avalée, qu’il soit bien clair que cette réforme du logement est une réforme qui émane de l’UDR et qui doit servir l’UDR. Ne laissons personne d’autre que nous en revendiquer la paternité ! »
Sous-entendu : Jacques Barrot 19 ne doit pas dire qu’il y est pour quelque chose, je ne le laisserai pas approcher de la Sainte Table !
Conclusion : Giscard doit faire quelque chose, mais quoi ? Se débarrasser de Jacques Chirac ? Appeler qui : Durafour ? Quelle légitimité a celui-ci ? Ou Edgar Faure, pour sortir du magma de la majorité à trois et fixer l’électorat centriste ?
16 mars
Déjeuner avec Tomasini, secrétaire d’État chargé des Relations avec le Parlement.
Dans certaines sphères giscardiennes, on reproche à Chirac aujourd’hui de n’avoir pas assez politisé les élections cantonales. Mais, selon lui, c’est Giscard qui a voulu éviter une politisation de ce scrutin, sans doute pour garder intactes les chances d’un rapprochement avec les socialistes pour les futures municipales. Il me révèle surtout que les cadres de l’UDR se posent maintenant beaucoup de questions sur Giscard. Ils épargnent Jacques Chirac, auquel ils ont au contraire « lancé des fleurs » à l’occasion de la réunion du bureau exécutif, hier lundi, 15 mars.
Pendant que nous sommes ensemble, Jacques Chirac l’appelle et lui passe ce message : « J’ai eu le feu vert, pour Juillet. »
Message légèrement ésotérique que m’explique immédiatement« Toto » : Chirac vient d’obtenir de Giscard d’autoriser Pierre Juillet à reprendre du service auprès de lui. Pour d’obscures raisons, Juillet avait, en effet, pris du champ. Aux yeux de Chirac, cela signifie que le président de la République va confirmer son Premier ministre dans le rôle de coordinateur de la majorité, et qu’il est prêt à lui donner les moyens qu’il demande : Pierre Juillet en est le plus important.
Avec ce mélange de roublardise et de fidélité qui le caractérise, Tomasini me dit qu’à son avis rien n’est moins sûr.
17 mars
Avec Xavier Gouyou-Beauchamps, je fais le point sur les cantonales. Sans passion, parce que ces élections – comme beaucoup de choses – ne lui en inspirent guère.
Ces mauvais résultats, selon lui, étaient prévisibles et prévus. Ils s’expliquent par des motifs sur lesquels il était vain d’essayer d’agir, comme les conséquences de la crise économique, cause d’une forme de mécontentement inéluctable. Ce mécontentement a été accru parce que, à la fin de 1975, les Français ont cru qu’ils en étaient sortis. D’où une réaction « en accordéon » du corps électoral, dont l’Insee s’était d’ailleurs fait l’écho en début d’année.
« Voilà pourquoi, me dit-il, c’était une mauvaise idée de vouloir politiser ces élections : c’était se condamner à l’échec ! »
Il faut donc les considérer comme un élément d’information. Mais ne
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