Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
républicains indépendants et les centristes. Il y aurait dans ce cas deux partis de la majorité opposés à deux partis de l’opposition. »
Je ne sais pas à quel rythme il rencontre Marie-France Garaud, mais il tient exactement les mêmes propos qu’elle. On me dit qu’il continue d’envoyer à Matignon des tonnes de fleurs chaque semaine. Leur identité de vues est en tout cas totale.
Couve de Murville est à la tribune lorsque je pénètre dans la salle. Michel Debré lui succède avec un de ces discours-fleuves comme il les aime, passionné, apocalyptique et volontaire. Son diagnostic, c’est que la majorité a un an – le temps qui la sépare des élections municipales – pour redresser la barre. Passé ce temps, « si le mouvement s’amplifie, la désespérance s’installera dans l’opinion et même dans nos rangs ».
Il parle de crise de régime si la gauche s’installe au pouvoir : l’enjeu de 1978, selon lui, est de savoir si la France demeurera indépendante. Tout en se félicitant que, désormais, il est clair que « le chef du gouvernement est le chef de la majorité », il en tire deux conséquences : d’abord, qu’il faut éviter les majorités d’idées (« Pardon pour Edgar Faure ! »), qui finissent par jeter bas l’existence même d’une majorité politique ; ensuite, que Chirac ne doit pas seulement être le chef d’une combinaison parlementaire, mais surtout « l’auteur et le responsable d’un courant populaire et national ».
Exactement ce que les giscardiens ne veulent pas entendre !
Le procès continue : l’inflation n’est pas combattue, les tensions sociales deviennent de plus en plus insupportables, le remède ne peut être trouvé que dans la politique des revenus.
Il se débrouille pour ne pas prononcer le nom de Chirac, mais, tout de même, le numéro d’équilibriste est difficile : après tout, c’est l’UDR qui conduit le gouvernement. Debré dénonce l’insuffisance de la politique à l’égard du chômage des jeunes, à l’égard de la famille, comme si c’était un autre parti que le sien qui était aux commandes !
Quant à sa péroraison, c’est un brûlot contre les giscardiens : « Pour éviter de changer de majorité, soyons la majorité ! dit-il. Restons la majorité de la majorité ! Soyons les artisans du relèvement de la France ! »
Après lui, Edgar Faure ne pouvait pas ne pas réagir sur la « majorité d’idées », destructrice selon Debré. Il plaide non sans raison que, sur les choix de société, la France n’est pas divisée en deux camps d’importance égale. Et que, si le gouvernement est encore là, c’est précisément parce que les Français, dans leur majorité, par-delà les camps, sont hostiles au collectivisme et à l’autogestion : il y a donc des minorités d’idées, si l’on préfère !
Edgar Faure tel qu’en lui-même : maniant la langue et la dialectique, l’humour et le sérieux, tout cela pour adresser le message que Matignon lui a demandé d’adresser aux parlementaires UDR : « Cette majorité, vous n’avez pas à la conquérir, vous avez à la garder ; vous devez lui donner l’espérance, la majorité vous suivra au Parlement, la majorité du pays est toute disposée à cela. Vous n’avez qu’à la garder, et, pour cela, mon cher Jacques, vous n’avez qu’à la conduire ! »
Ovations assurées !
Guéna et Labbé lui succèdent, beaucoup plus agressifs. Tout le monde maintenant attend Chirac. Au dîner qui suit, nous sommes quelques-uns autour de lui à pouvoir mesurer sa combativité : intacte. Par rapport aux dernières semaines, où le doute avait fini par s’infiltrer jusque parmi ses proches, il me paraît même totalement requinqué.
« Je vais commencer par conserver notre électorat, nous dit-il. Il y a seize catégories de professions libérales, j’en ai déjà reçu treize. Je vais recevoir les trois dernières.
– Après avoir gagné en 1978, que ferez-vous ? lui demande quelqu’un.
– Je n’ai qu’un objectif à la fois. Après 1978, je ferai autre chose. Ma vocation n’est pas la politique ! »
Ah, tiens ! On aurait cru... Il préfère la Cour des comptes, peut-être, dont il dit toujours qu’il s’y est horriblement ennuyé ? Je ne le vois pas y retourner !
Chirac enchaîne, après le dîner, par une mini-conférence de presse. Et si les centristes ne veulent pas se laisser coordonner ? lui demandons-nous.
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