Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
pas se tromper dans l’interprétation qu’on peut en faire. Le président, par exemple, ne veut pas qu’on puisse en tirer comme conclusion que les réformes doivent être freinées ou qu’au contraire elles doivent être accélérées. « Ces élections, pour lui, insiste-t-il, n’ont qu’une signification conjoncturelle. Elles n’ont pas de rapport avec la conduite à moyen terme de la société. Elles ne posent pas sérieusement le problème des réformes. Dans son idée, il n’y aura aucun ralentissement dans le rythme des réformes. »
Sur le plan stratégique, Giscard a quand même décidé de prendre l’initiative. Gouyou a beau me dire que les décisions étaient prises avant le 14 mars, je n’en suis pas si sûre. Il m’annonce pour le 24 une intervention du président sur la situation économique et me dit au passage que la crise qui a affecté la France est en train de se terminer. En avril, Giscard consacrera son intervention à la politique intérieure. D’ici là, il ne parlera pas.
Je l’interroge sur le retour de Pierre Juillet auprès de Jacques Chirac. Il hausse les sourcils : Chirac prend Juillet pour le rassurer, parce qu’il est inquiet de la tournure que prennent les choses. Mais cette rentrée de Juillet n’est pas – je note son expression avec soin – « de nature à faire abandonner la réforme ».
J’insiste : cela signifie-t-il un changement dans l’organisation de la majorité ? Une confirmation de Jacques Chirac à Matignon ? D’après ce qu’il me répond, je n’ai pas l’impression qu’un changement soit en cours : « La stratégie d’une équipe de ski est faite pour trois ans, elle ne doit pas être changée après un échec à une course. »
Suit un long développement sur l’Europe et l’élection au suffrage universel des députés européens. Mon interlocuteur dénonce l’attitude, qu’il trouve bizarre, de l’UDR, qui consiste à s’opposer à la fois à la vision d’un État unitaire européen et à poser la question des compétences et du mode d’élection de l’Assemblée européenne. « Il est évident que plus le Parlement sera représentatif, plus il aura de pouvoirs, me dit-il. Cela devrait les rassurer ! D’ailleurs, vous verrez, sur ce problème, Chirac est sur la même longueur d’onde que le président. Il ne se battra pas sur cela. »
24 mars
Contrairement à ce que je croyais, Chirac est épargné par Giscard après la défaite aux cantonales. Dans une allocution à la télévision, où il est apparu sinistre et solennel, le président vient donc aujourd’hui de confirmer Chirac dans ses fonctions de coordination et d’animation de la majorité. Le retour de Pierre Juillet s’inscrit donc bien dans cette stratégie. D’ailleurs, il paraît que Giscard l’a rencontré avant son intervention et lui a demandé conseil.
Chirac va donc se rendre aux trois journées parlementaires organisées par les républicains indépendants, les centristes et naturellement l’UDR. En dehors de l’UDR, tout le monde fait la tête.
Cela s’est vu clairement lors des journées parlementaires giscardiennes à Nice, où je n’ai fait qu’un tour, avant de rejoindre, le 30 mars, Saint-Jean-de-Luz pour les journées parlementaires UDR. J’ai sauté les journées centristes : avec cette majorité-là, on ne peut être partout à la fois !
C’est dans un climat ambigu que les giscardiens réunis à Niceont écouté ensemble, mercredi soir, le discours de Valéry Giscard d’Estaing. Peu d’applaudissements à la fin dans le salon du premier étage de l’hôtel Negresco, interdit à la presse, où Roger Chinaud, Jacques Dominati et l’état-major giscardien prenaient fébrilement des notes.
Depuis mardi soir, le contenu du message de Giscard et la confirmation de Jacques Chirac comme coordinateur de la majorité n’étaient plus un secret pour personne. Signe des temps : sur ordre de Michel Poniatowski, Le Figaro avait mis au panier un article de Roger Chinaud, très critique à l’égard de Chirac. Et Claude Pierre-Brossolette, depuis l’Élysée, avait prévenu Jacques Dominati de l’appel du président de la République à Jacques Chirac.
D’ailleurs, à peine était-il arrivé à Nice que Dominati se faisait « recadrer » par Brossolette et directement par Jacques Chirac. Gentiment mais fermement, tous deux lui ont fait savoir qu’il fallait obéir au chef de l’État. Inutile de décrire dans
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