Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
Aucun problème : il rencontre les centristes le 5 avril, les radicaux, il a oublié le jour, mais tout va bien.
Quelle va être sa stratégie ? Il devient plus sérieux – et plus crédible – : il ne cache pas que les élections municipales ne sont pas le terrain idéal pour les partis de la majorité : « Mon objectif, dit-il prudemment, est un résultat qui soit convenable ! »
En aparté, il confie mezza-voce à ceux qui sont le plus près de lui : « On les perdra, les municipales ! » Mais pas les législatives : « À partir de là, continue-t-il, je ne doute pas que les législatives soient gagnées par la majorité : croyez-moi, elle aura au moins 40 sièges d’avance. »
Question : pourquoi, alors qu’on parle de « décrispation », attaquer si souvent François Mitterrand ?
Là, il s’anime sérieusement. Il n’a jamais, lui, employé le mot de « décrispation », qui l’énerve au plus haut point (ce qu’il ne dit jamais publiquement) : « On m’accuse de répondre vertement à François Mitterrand, proteste-t-il. Mais, lui, il ne cesse de m’injurier, et tout le monde trouve cela normal ! Il suffit que je dise une chose à son propos pour que l’on crie au sacrilège. Ces commentaires me laissent indifférent. La décrispation, le président de la République a essayé de la faire, l’opposition a toujours refusé ! Qu’on ne m’accuse pas maintenant de ne pas rechercher la décrispation. Je dirai en toute occasion ce que je pense de l’opposition : oui, j’agresserai l’opposition ! »
Est-ce le retour des « barons » ? demande l’un d’entre nous, faisant allusion au discours de Michel Debré dans l’après-midi.
Réponse superbe, encore que facile : « Il n’y a pas de retour, parce qu’il n’y a pas eu de départ. »
Jeudi matin, je vois Yves Guéna à deux pas de la salle centrale, dans une espèce de réduit abrité par des rideaux rouges, derrière quelques pots de plantes vertes entreposées en vrac.
« Cette nomination de Chirac, me dit-il, me paraît capitale. D’abord parce que, en province où j’étais avant-hier, tous les militants pensent que Giscard donne le pouvoir à Chirac. Ensuite, plus politiquement, parce que cette nomination indique la fin de la volonté giscardienne de “nouvelle majorité”. Ça, c’est terminé ! Le rêve de casser l’UDR, d’éloigner un certain nombre d’entre nous et de faire entrer je ne sais qui dans la majorité, est terminé. Elle marque aussi la fin des polémiques internes à la majorité.
– C’est aussi dangereux pour Chirac, non ? Êtes-vous sûr que Giscard s’attendait à ce que cette petite phrase du Chirac “animateur de la majorité” fasse un tel bruit ?
– Il ne s’attendait sûrement pas à cela, non. Il n’empêche que cette petite phrase a tout changé !
– Jusqu’à quand ?
– La prochaine échéance, ce sont les municipales. Giscard peut vider Chirac s’il rate les municipales, et encore ! Il sera alors sans doute trop tard pour pouvoir remonter la pente ! Non, désormais, à mon avis, Giscard ne peut plus se passer de Chirac.
– Alors, sans Chirac, pas de majorité ? »
Il réfléchit quelques secondes avant de lancer sa bombe à retardement :
« J’ai une certitude, confie-t-il. Giscard est désormais incapable d’envisager un second septennat. Donc, il faut mettre Chirac sur orbite présidentielle. En 1978, il doit se mettre en réserve, choisir un autre poste – président de l’Assemblée nationale, par exemple – et viser la présidentielle de 1981. »
Je lui fais remarquer que l’Élysée ne va pas se laisser faire comme cela. Qu’il sait très bien qu’il y aurait un tir groupé des giscardiens et des centristes contre Chirac, s’il déclarait sa candidature à la présidentielle.
« Dans ce cas, on est tous foutus. Mais non : même dans ce cas, je ne pense pas que Giscard puisse revenir sur ce qu’il a dit, sur la carte blanche donnée à Chirac.
– Et pourquoi donc ?
– Parce qu’il a laissé filer les choses. Il a laissé filer son électorat. Il a paru trop peu sérieux, incapable de diriger les choses. Ce sont des erreurs politiques irréversibles. Non, pour lui c’est terminé, il est trop tard. Il est toujours là, certes, en ce moment, car le président est toujours le roi, dans le jeu d’échecs de la politique. On ne peut pas se passer du roi. Mais il paraît retiré du jeu pour
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