Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
Tomasini est, paraît-il, très éprouvé physiquement après son pontage, c’est presque un accord de viager.
Sur le plan de la coordination : il me dit que la coordination politique ne marche pas trop mal à l’exception – qui préoccupe d’ailleurs beaucoup Chirac – de J-J S-S.
Ce qui ne marche pas, en fait, c’est la coordination du gouvernement.
24 avril
C’est la première conférence de presse d’Yves Guéna, nouveau secrétaire général de l’UDR.
D’un coup, le voici délié, à l’aise, ayant oublié le fameux parapluie que, selon Marie-France Garaud, il aurait avalé : costume marron, cravate crème et verte. Il est 15 h 30 dans le salon beige de l’hôtel Sheraton.
Son équipe sera restreinte, resserrée. La cellule la plus importante est évidemment celle qui s’occupera des élections.
5 mai
Rien écrit depuis dix jours. Ces quelques notes seulement, rédigées ce soir :
D’abord François Mitterrand à Europe 1 pour une journée non-stop sur l’antenne. Il y distille des confidences politiques, parmi lesquelles l’assurance qu’il « gardera Giscard » si la gauche gagne les prochaines législatives.
Remuant, primesautier, Jean-Luc Lagardère l’attend pour le saluer après son émission avec Denise Fabre. Il le félicite et ne cache pas à Claude Estier, qui accompagne Mitterrand, qu’Europe 1 est écoutéeà gauche et qu’il ne voit pas pourquoi la station se priverait d’attirer à elle un public socialiste.
Partout ailleurs – à Radio-France, par exemple – règne la panique à l’idée que les socialistes puissent arriver au pouvoir. Climat curieux, fait de peur et de curiosité mêlées.
Je suis étonnée par cette atmosphère : deux ans avant les législatives, elle me semble bien prématurée. D’où vient que les uns et les autres, politiques et journalistes, nous ne parlons que de cela ? Est-ce la faiblesse de Giscard dans l’opinion qui justifie cette hâte qu’il ne faut pas confondre, comme le répète à tout bout de champ Chirac, avec la précipitation ?
6 mai
Jean Poperen et Claude Estier me racontent le séminaire du PS à Seillac. Un seul thème : comment un parti d’opposition peut devenir un parti de responsabilité.
Le rapport de Pierre Mauroy sur la situation politique analyse le désarroi dans la majorité. L’État-UDR est-il ou non en train de renaître ? Il ne croit pas que Giscard soit satisfait de voir Chirac se propulser en première ligne.
Il parle aussi longuement du Parti communiste. Au fond, a-t-il remarqué, « le dernier congrès communiste, c’était notre congrès d’Épinay » : il a cherché à définir son identité, sa personnalité. Marchais ouvre tout grands ses bras à tout le monde, chrétiens, gaullistes, petits commerçants. « Nous examinons sans inquiétude, a dit Mauroy, mais avec ennui, le laxisme que cela représente. »
Pourtant cette évolution a un aspect positif : « Plus le PC se fait rassurant, juge Mauroy, plus il joue en notre faveur. À partir du moment où les électeurs n’ont plus peur du communisme, ils votent plus facilement pour nous. »
Conclusion de Mauroy : il faut rassurer sans édulcorer. Ce que fait Mitterrand lorsqu’il dit sur Europe 1 qu’il « gardera Giscard ».
Quant à faire un parti de responsabilité, Mauroy, Mermaz et l’ensemble du secrétariat du parti jugent que c’est là que le bât blesse.
Au cours du séminaire, François Mitterrand a eu, selon Poperen, quelques phrases très sévères sur les gauchistes au sein du PS : « Finalement, dit-il, ils ont une espèce de fascination pour le PC. Ils rêvent d’un régime soviétique présidé par Proudhon ! »
Sur le PC : « Ils ont un rêve, c’est qu’après avoir pris le pouvoir, nous nous déchirions entre l’autogestion fumeuse et l’opportunisme crasseux. »
Pierre Mauroy, que je joins par téléphone, ajoute quelques phrases à ce récit que m’ont fait Poperen et Estier, qu’il confirme : « J’ai dit que, quand on avait l’expérience de la dispersion des socialistes, on considérait que c’était une grande richesse d’être ensemble. Mais que cela passait par une homogénéisation du courant A, le courant majoritaire au PS. »
C’est précisément cette homogénéisation qui fait problème : le PS est bordé sur sa gauche par une aile dure, venue de la CFDT (les militants de Nantes, de Saint-Nazaire), par l’aile dure de l’ancien PSU, par
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