Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
structure de l’UDR, les cadres et les militants se sont mobilisés pour lui. Il me dresse la chronologie des événements tels qu’il les a vécus.
Premier temps : Chirac le convoque à Matignon le 7 avril. « J’ai décidé, lui dit-il, qu’Albin Chalandon serait secrétaire général de l’UDR. Toi, mon cher Yves, je te destine à des fonctions plus hautes. Je compte sur toi. »
Guéna conteste le choix de Chalandon, qui est celui de Marie-France Garaud.
« Je ne lui ai pas caché, me dit Guéna, que je trouvais que ce poste, d’ailleurs délicat, me revenait de droit. »
Cela ne m’étonne pas du tout de Guéna : derrière son franc-parler d’autant plus inattendu que son apparence physique est raide, il a une assez haute idée de lui-même, qu’il cache le plus souvent, mais qui m’a néanmoins toujours paru évidente.
Pourtant Chirac tranche : ce sera Chalandon.
Jeudi soir, dîner à Matignon avec Roger Frey, Olivier Guichard et naturellement Pierre Juillet et Marie-France Garaud. C’est toujours Guéna qui m’en fait le récit : Frey et Guichard attaquent, soulignant que Chalandon n’a pas l’air très chaud, qu’il est trop proche de Giscard, que cela risque d’être mal pris par le mouvement, etc.
Le lendemain, nouvelle convocation d’Yves Guéna à Matignon. En arrivant dans la cour, Guéna croise Chalandon qui s’en va, lui tend la main et le salue avec un air jovial : « Bonjour, lui dit-il, monsieur le secrétaire général ! »
Quelques instants après, il entre dans le bureau de Jacques Chirac : « Tu m’as convaincu, lui dit Chirac. OK, tu seras secrétaire général de l’UDR. »
Yves Guéna, quoique profondément gaulliste, et gaulliste de la première heure – mais cela ne veut plus dire grand-chose –, n’est pas giscardien pour un rond, mais il dit, somme toute avec assez de raison : « Nous ne gagnerons pas sans Giscard, il faut faire avec le président qu’on a. »
Dans son esprit – il me l’avait révélé à Saint-Jean-de-Luz –, Chirac est programmé pour être le futur président de la République. Il en a la certitude. Tout, en Chirac, m’assure-t-il, ne pense qu’à cela, ne vit que pour cela.
Je n’en suis pas aussi sûre que lui.
Dans l’après-midi, François Gadot me parle d’un texte attribué à Pierre Juillet dans lequel celui-ci, tout en émettant des considérations désagréables sur les RI, demande l’inversion du calendrier des élections municipales, prévues pour 1977, et des législatives, prévues pour 1978. C’est-à-dire des élections législatives anticipées. Pourquoi ? Parce qu’il est certain que les législatives peuvent être gagnées plus facilement par la majorité.
Maurice Faure m’a raconté il y a une quinzaine de jours – mais je ne l’avais pas relaté dans mon cahier – la visite-éclair que Mitterrand lui a rendue dans le Lot dans les premiers jours d’avril. Il est arrivé par avion de Bordeaux, un beau matin, en ne le prévenant que la veille, et lui a tenu à peu près ce langage :
« Nous allons peut-être gagner les élections. Encore que je ne veuille pas vendre la peau de l’ours... Je voudrais vous demander d’être à mes côtés, le moment venu. J’ai besoin de quatre ou cinq personnes de confiance autour de moi, au cas où... »
Toujours la même volonté de Mitterrand de se préparer à prendre le pouvoir en 1978, donc avec Giscard. Il aura besoin, dans ce cas, de gens comme Maurice Faure pour faire le pont.
21 avril
Levée de boucliers inattendue sur la taxation des plus-values. Les parlementaires UDR sont en colère et le font savoir. « Comment voulez-vous voter un truc pareil, me dit Charles Bignon 22 , trèsremonté. Ce ne sont pas les articles en eux-mêmes, c’est le titre de la loi ! » Et un autre : « Ce texte, c’est comme le supplice du pal, ça commence bien et ça finit mal. »
Le giscardien Fernand Icart, que j’interroge, ne me cache pas qu’il faut apporter de substantielles modifications au texte pour qu’il n’ait pas l’air de pénaliser les profits. Il a l’air de penser que cette flambée de colère d’une partie de la majorité sera vite endiguée.
22 avril
Conférence de presse de Valéry Giscard d’Estaing. Le moment est bien choisi. Chirac occupe le devant de la scène depuis plusieurs semaines. Giscard s’était depuis longtemps fixé le mois d’avril pour parler. Il parle donc aujourd’hui.
Son propos
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