Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
obstinément. Au fond, le jour où il a redit : “Il faut gouverner au centre”, nous aurions dû comprendre. C’est un lent, mais un lent qui ne bouge pas d’un pouce.
« Au début, nous nous disions : “Chirac n’arrive pas à gouverner parce qu’il est trop fonceur et pas assez réfléchi.” C’était vrai, mais ce n’était pas l’explication : l’explication, c’est que Giscard veut gouverner. Ou, plus exactement, que Chirac ne peut pas gouverner parce qu’on ne lui en donne pas les moyens. C’est l’Élysée qui veut le faire, mais il n’en prend pas les moyens non plus : Brossolette n’exerce pas davantage le pouvoir. Alors, personne, personne ne l’exerce ! »
Et encore : « Le problème est de savoir s’il vaut mieux que Chirac parte tout de suite ou s’il faut laisser les autres lui en mettre plein la tête. À mon avis, il faut se tirer d’ici, se tirer tout de suite !
« Il ne faut pas nous installer dans la position d’un Jobert. Il faut que Chirac sauvegarde ses possibilités de revenir un jour. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions. Il y a neuf chances sur dix pour qu’il ne revienne pas. Mais s’il veut revenir, il lui faut conserver l’UDR et l’unité de l’UDR. »
Je ne pose pas de question ; elle n’en a pas besoin : je lui poserais les questions qu’elle se pose déjà elle-même. Je n’ai pas besoin de la pousser pour qu’elle me dise ce qu’elle pense.
La seule chose que j’ignore au moment où je prends congé, c’est le moyen pris par Chirac pour signifier son propre départ à Giscard. En tout cas, aujourd’hui 26 juillet, je sais que c’est déjà fait. À l’heure qu’il est, Chirac est démissionnaire.
Sauf que rien n’est officiel. C’est comme lorsqu’il s’agit de composer un ministère : jusqu’à ce qu’une nomination soit officielle, elle n’est pas faite.
27 juillet
Vu François Mitterrand chez lui pour recueillir également un enregistrement sur son programme de vacances. Je ne lui révèle pas ce que m’a dit Marie-France Garaud, mais de notre conversation il appert que la dégradation de la majorité ne le surprend pas outre mesure. Il est plus détendu que jamais, en costume de jean bleu et chemise ouverte. Pas trop de retard, pour une fois. Il enregistre en hésitant, en se reprenant, juste assez pour faire naturel.
L’enregistrement terminé, il m’emmène dans son bureau pour m’interroger, en dehors de la présence du technicien qui m’accompagne, sur la majorité. Puis évoque les élections de 1978.
Lorsque je lui parle de Giscard disant à Chirac (source : Marie-France Garaud) : « Même pour inaugurer les chrysanthèmes, je resterai à l’Élysée ! », il me répond : « Ne vous y trompez pas. Il ne veut pas la victoire des socialistes. Il pense seulement qu’après six mois de pouvoir avec les communistes je serai paralysé ou désireux de me séparer d’eux à n’importe quel prix. Il sera à ce moment délivré, il aura levé l’hypothèque du Parti socialiste et pourra gouverner comme il le souhaite, c’est-à-dire avec le centre... et ceux des socialistes qui se rallieront. »
28 juillet
Gouyou-Beauchamps à l’Élysée. Nous parlons du départ de Pierre-Brossolette du secrétariat général de la présidence. « Si Claude Pierre-Brossolette, me dit-il, s’entendait mal avec le président de la République, cela se saurait ! Il fait un métier usant : si Giscard n’avait pas eu Jean-François Poncet sous la main, Claude Pierre-Brossolette serait resté. Mais la solution de remplacement étant trouvée, autant s’en servir. »
Peut-être dit-il vrai. Peut-être y a-t-il eu des nuages entre Giscard et son secrétaire général. En tout cas – mais cela ne prouve rien –, son éloge a été fait en Conseil des ministres. Je comprend maintenant la liberté de parole de Claude Pierre-Brossolette, la semaine dernière, avec Roger Stéphane.
29 juillet
Jean-Jacques Servan-Schreiber, qui m’a invitée à passer le voir, me dit que Giscard ne décidera de rien, concernant Chirac, avant septembre. Il ne veut pas risquer d’accident parlementaire à l’automne sans y être préparé.
Au-delà des difficultés entre l’UDR et Giscard, le mouvement giscardien n’a pas, selon lui, progressé. Des assises de Paris entre Ponia et Lecanuet, rien n’est sorti. Conclusion : Giscard n’a pas avalé l’UDR, et le rapprochement entre les centristes et les
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