Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
précédent dans le Corriere della sera . « Qu’est-ce que j’ai dit ? s’étonne-t-il. J’ai dit que l’Italie appartient au Pacte atlantique, qu’elle ne fait pas partie du pacte de Varsovie. C’est vrai, non ?... Il est un fait, affirme-t-il plus fortement encore : l’URSS n’a pas manifesté de volonté de s’agrandir hors de sa sphère d’influence. » Sous-entendu : alors, qu’on nous laisse déterminer notre politique !
Mercredi matin 30 juin , c’est au tour de Tito, très bronzé, lunettes sombres, d’entrer en scène. Il justifie – ce doit être au moins la centième fois –, le non-alignement. Un discours assez long dont je retiens ce passage à l’intention de Leonid Brejnev : « L’ingérence dans les affaires intérieures d’autrui est ce qui fait courir les plus grands dangers en Europe et ailleurs... Il est apparu clairement que les mouvements ouvriers opèrent dans des conditions différentes. Vouloir prescrire des recettes universelles est indéfendable. »
Après l’Allemand Honecker, qui rend bien sûr hommage à l’URSS, voici encore Enrico Berlinguer, frêle et brun, qui parle avec une autorité qui semble croître d’heure en heure. Il défend l’euro-communisme avec conviction :
« Quelques-uns soutiennent le communisme partout, dit-il. Ce n’est pas vrai. Jamais cela n’a été vrai non plus pour les révolutions bourgeoises, ni pour les sociétés nées de ces révolutions. Et il est logique que d’autres variétés puissent exister dans le futur. Et, parmi elles, les variétés substantiellement nouvelles réalisées dans les paysoù le capitalisme a atteint le point le plus élevé de son développement. »
Il explique donc, en véritable chef de tendance, sa « décision de continuer son initiative européenne ».
Et les communistes français, dans ce débat ? Georges Marchais donne une conférence de presse dans l’après-midi. Il prend soigneusement ses distances avec Berlinguer : « Si le terme d’ eurocommunisme employé par Berlinguer signifie que des partis voient les choses d’une même façon, alors oui, je suis d’accord. Que j’y voie un modèle qui puisse devenir universel, non ! »
Reste qu’il souligne la communauté de vues entre chacun de ces partis qui ont élaboré leur stratégie vers le socialisme et défini une société socialiste basée sur le pluralisme des partis, l’indépendance du mouvement syndical et de la presse, la possibilité de l’alternance.
Est-ce le commencement de la fin ? lui demande-t-on. Il fait mine de ne pas comprendre qu’on lui pose la question de l’éclatement du communisme. Il répond, bonasse : « Oh, vous savez, le commencement de la fin du capitalisme, il a commencé il y a longtemps ! »
Je résume sa position : lui aussi entend avoir les coudées franches pour son union de la gauche, mais il ne veut pas suivre les Italiens dans leur volonté de couper les ponts avec Moscou.
La conférence de presse finale a lieu au Staat Hotel de Berlin-Est.
La jolie photo de famille ! Dans l’immense salle beige et marron, au premier étage de l’hôtel, y participent tous les leaders des PC européens : Leonid Brejnev, le Soviétique, costume sombre, croix de Lénine sur la poitrine, carré, imposant ; le Tchèque Gustav Husak, sec comme un coup de trique ; Nicolae Ceaucescu, le Roumain ; le Portugais Alvaro Cunhal ; le Finlandais Aarne Saarinen ; et puis les vedettes de ce congrès : Josip Tito, chef de l’État yougoslave, tout de blanc vêtu, Enrico Berlinguer dans un strict complet d’alpaga bleu, et Georges Marchais, sourire crispé.
7 juillet
Formidablement intéressant, ce congrès de Berlin, sur lequel je reviens dans ce cahier aujourd’hui. Un monde éclaté, deux univers dont les liens se distendent quotidiennement. Des hommes ouverts : Berlinguer ; des muets : Brejnev ; des vieux redevenus jeunes : Tito. Des révolutionnaires habitués à la clandestinité : Santiago Carrillo.
Pour la première fois, des leaders communistes ont essayé de raisonner sur les pays développés, sans déviationnisme ni haine à l’égard de l’URSS, mais avec une double conviction :
Ils pensent d’abord que l’expérience de l’Union soviétique n’est pas transmissible, puisqu’elle a en quelque sorte « sauté » la révolution bourgeoise, qu’elle est passée directement de l’État agricole à l’État prolétarien.
La seconde est que, dans
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