Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
les pays développés où l’URSS a tenté de rééditer sa propre expérience, les choses se sont très mal passées, et que cela a plutôt entraîné un retour en arrière du niveau de vie. La Tchécoslovaquie est, de ce point de vue, un cas d’école.
Pour la première fois également s’exprime à l’intérieur du mouvement communiste international une remise en cause des « bureaucrates de Moscou ». De ce point de vue, le témoignage de Santiago Carrillo me semble capital. Il m’a dit : « Les bureaucrates qui sont à Moscou n’ont rien à m’apprendre. Ils prétendent me dicter ma révolution, mais personne ne peut me la dicter. Staline était Staline, mais il savait ce qu’était la vie clandestine, la révolution à préparer. Eux ne savent rien de tout cela, et moi, j’ai à leur dire ceci : le communisme que nous voulons n’est pas le vôtre ! »
Il le leur a dit effectivement la semaine dernière à Berlin. Et les dirigeants soviétiques l’ont compris, puisque la Pravda a censuré ces passages du discours de Carrillo.
Ce changement au sein du mouvement communiste international – je ne parle pas de schisme, car, pour le moment, ce n’en est pas un – explique que tout soit modifié, et en premier lieu les rapports avec la social-démocratie, du moins avec celle des pays de l’Europe du Sud.
Dès lors que le cap n’est plus aussi solidement fixé à l’Est, dès lors que le pilotage redevient manuel et pas automatique, chaque parti national redevient responsable de lui-même.
Les partis communistes sont-ils en train de perdre leur âme ? Espérons-le. Et disons : tant mieux ! Dans la vie politique française, rien ne vaudrait mieux, pour la gauche tout entière, que le parti français perde son âme ! Le verrou qui fige toute la vie politique française depuis peut-être 1920, en tout cas depuis 1936, est en train de sauter. Cela vaut qu’on soit attentif.
À cette double réserve près : quelle est la marge de manœuvre de Marchais vis-à-vis des Soviétiques ? Et que pensait Brejnev pendanttoute la conférence de Berlin, lui qui n’a rien dit publiquement : a-t-il encore les moyens de faire la loi ?
15 juillet
Roger Stéphane me raconte un peu en désordre deux entrevues intéressantes.
La première a eu lieu avec Claude Pierre-Brossolette. « On me dit que Jacques Chirac n’a appris qu’il n’y aurait pas de remaniement qu’à l’occasion de l’interview télévisée de Giscard par Jacques Chancel ? » demande-t-il à son interlocuteur.
Réponse : « C’est bien fait pour sa gueule ! »
Suit toute une série de phrases à l’encontre de Chirac et de ses ministres : « S’ils sont mauvais, c’est qu’il les a mal choisis ! »
Si Jacques Delors n’a pas fait son entrée au gouvernement, c’est parce que Chirac n’en a pas voulu : « Ah, il ne nous simplifie pas la tâche, celui-là ! »
Sur les plus-values : « Le président lui en veut à mort. » Phrase qui ne s’explique que si, dans l’esprit du président, le sort de Chirac est réglé.
Alors qui ? « Que pensez-vous de Raymond Barre ? » demande Claude Pierre-Brossolette à Roger Stéphane.
De Giscard, il fait un portrait qui étonne Roger Stéphane et que je trouve, moi, assez sympathique. « Chacun de nous, dit-il, est le jeune enfant qui trépigne, le jeune homme romantique qu’il a été à 16 ans, le héros volontaire qui, à 20 ans, voulait être président de la République, le jeune homme qui se pose des problèmes, l’homme de 40 ans qui doute de tout. Chez Giscard, tous ces hommes coexistent sans parfois trouver leur unité. Lorsque vous entrez dans son bureau, vous ne savez jamais sur lequel de ces hommes vous allez tomber ! »
La deuxième conversation, il l’a eue avec Michel Poniatowski. D’où il ressort une information inattendue : « J’écris à Giscard tous les soirs, lui a dit Ponia. Depuis que je le connais, je n’ai jamais failli une seule fois à cette habitude. À 19 heures, un courrier part pour l’Élysée. »
19 juillet
Vu Françoise Giroud, très pessimiste sur le destin de Jacques Chirac. Entre Chirac et Giscard, elle le confirme, rien ne va plus.
« Longtemps, raconte-t-elle, Giscard est resté sourd aux mises en garde de ceux qui lui disaient que Jacques Chirac était un frein formidable à sa politique. Cette fois, c’est fini. Après les plus-values, c’est la réforme électorale municipale qui les a
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