Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
tension inflationniste,elle ne parviendra pas à assurer le plein emploi. « Ce n’est pas par sadisme, dit-il, que je parle de lutte contre l’inflation, mais pour que les Français soient en mesure de retrouver les conditions fondamentales de leur développement et de leur bien-être. »
Son portrait ? Meilleur « économiste de France », technocrate ? Raymond Barre a un haut-le-cœur : « Je ne suis pas technocrate, dit-il, je suis démocrate ! »
31 août
Guéna, que je rencontre à nouveau ce matin, mais seule à seul, me raconte avec une liberté de ton inouïe comment il a vécu la crise.
Il ne s’était aperçu de rien : il y a trois ou quatre mois, lorsqu’il avait vu Giscard après sa nomination à la tête de l’UDR, Giscard lui avait au contraire paru très proche de son Premier ministre.
Je le trouve, lui, Guéna, assez peu solidaire de Jacques Chirac dans la crise que traverse le gouvernement et le mouvement. Il me confirme qu’il aurait pu faire voter, s’il l’avait voulu, une motion de félicitations à Jacques Chirac par la quasi-totalité des fédérations UDR (sauf celle de l’Orne, la fédération d’Olivier Stirn). « Je ne l’ai pas voulu, me dit-il, pour réserver toutes les possibilités. »
Il me dit aussi que la marge de manœuvre de l’UDR est étroite : « Pour résumer, disons que l’UDR appuiera toutes les réformes dans les grandes lignes, mais plus aucun gadget. Donc, la crise est toujours possible. »
Quant à Jacques Chirac, pas question qu’il soit président du groupe parlementaire UDR à l’Assemblée nationale : Claude Labbé n’est pas prêt à changer de job. Et je comprends immédiatement, en quelques phrases, qu’Yves Guéna ne lui abandonnera pas le secrétariat général de l’UDR.
Je suis sidérée par l’absence de solidarité avec Chirac, apparemment si vite rejeté par ceux qui lui obéissaient hier.
Que feront les députés ? « C’est simple : ou bien ils se rebellent, et, dans ce cas, ils auront un candidat RI dans les pattes ; ou bien ils ne se rebellent pas, et ils acceptent ce que le président leur dit d’accepter. »
Les deux problèmes qui se poseront à l’UDR sont, dans l’ordre, le budget et l’Europe. Sur le premier, Guéna est relativement serein, car le gouvernement a des tas de moyens d’aménager le budget. L’Europe, c’est autre chose, d’autant plus – il a raison de le souligner – queles anti-européens sont minoritaires à l’Assemblée nationale. Donc, il serait périlleux de voter contre la construction européenne : ce serait risquer que l’Europe soit finalement acceptée, et l’UDR, finalement rejetée hors de la majorité.
Vu ensuite Claude Labbé, qui tient à peu près le même langage, à la réunion du bureau politique du groupe parlementaire UDR. Visiblement, face au départ spectaculaire de Jacques Chirac, personne ne veut faire de vagues. Tous les regards de l’état-major UDR se tournent vers Olivier Guichard.
Je me demande comment Chirac prend ça, et s’il s’y attendait, s’il pouvait même imaginer ce qui m’apparaît comme un lâchage général.
7 septembre
Déjeuner avec Olivier Guichard ce lundi midi (hier). Du coffre. Épais, massif. Impassible, impavide, cachant mal, néanmoins, sa joie d’être revenu aux affaires. Il parle beaucoup de politique avec une totale liberté.
« Il n’est pas possible, dit-il, que la majorité continue à se déchirer ainsi. Ma chance est que, les élections législatives approchant, ma position est de plus en plus facile. »
Et Giscard ? Il se montre très prudent : « Il faut bien, m’explique-t-il, que, dans un système présidentiel, on croie à la parole du président. Il m’a dit que je devais gagner les élections. Le contraire aurait été étonnant, mais il ne l’avait pas dit à Chirac.
« Il est temps, dit-il encore, de donner à l’opinion l’habitude de penser que le président est au-dessus de la mêlée. »
Je lui objecte : « Il est surtout temps de lui donner cette habitude à lui-même ! »
Il me regarde, sourit sans rien dire, prudemment.
Il n’aurait été prévenu de la démission de Chirac, lui, que le lundi. Alors consulté, sans doute par l’intermédiaire de Roger Frey, et appelé au gouvernement le mercredi soir, il a posé, m’assure-t-il, ses conditions au chef de l’État : sans doute celles d’avoir auprès de lui quelques secrétaires d’État, dont
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