Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
remercie de votre loyauté, de vos efforts, de vos zèles.
« Le gouvernement est désormais démissionnaire. Je vous demande de ne faire aucune déclaration en sortant. Des mesures ont d’ailleurs été prises pour éviter qu’on vous harcèle. J’accompagnerai le P.M. jusqu’au perron. Et je vous demande de sortir par cette porte pour que je puisse saluer chacun d’entre vous. »
Je suis soulagée : j’avais bien interprété les confidences de Marie-France Garaud. Ce que je ne pouvais pas savoir, c’est que Giscard avait retenu un mois la lettre de démission de Chirac.
26 août
Arlette de la Loyère, qui travaille avec Olivier Guichard, me dit que ce qu’a fait Chirac à Matignon, hier, en déclarant la guerre à Giscard, est médiocrement apprécié par Guichard. Par Robert Galley et Yvon Bourges aussi, d’ailleurs, qui, paraît-il, ont fait savoir à Giscard, hier soir, qu’ils jugeaient inouïe sa déclaration. En tout cas, une chose est sûre : Guichard a désormais une arme contre Chirac, accusé d’avoir mal respecté, ce qui est un comble, les lois de la V e République !
28 août
« Ce qui s’est passé entre Giscard et Chirac, me dit Michel Debré, au-delà des questions de personnes, qui ont leur importance, c’est qu’en matière économique aucun des deux n’a voulu prendre les mesures qui s’imposaient. Giscard parce qu’il pèche par un optimisme invétéré, et Chirac parce que tout homme politique qui veut continuer sa carrière n’ose pas imposer une politique d’austérité.
« Avec Barre, Giscard dispose d’un technicien qu’il pourra toujours renvoyer en disant : “C’est lui qui s’est trompé !”
« Sur le fond, Raymond Barre a tout à fait mes conceptions. Pourquoi n’a-t-on pas depuis longtemps commencé cette politique ? Parceque les hommes qui gouvernent ont trop tendance à considérer que tout s’arrangera le lendemain. Il a fallu attendre le mois d’août pour s’apercevoir qu’on ne pouvait pas faire le budget ! »
Il me dit aussi que, pour l’heure, Olivier Guichard semble avoir convaincu l’UDR qu’il fallait soutenir Giscard, mais avec vigilance. Michel Debré conclut : « Je suis contre la notion de soutien sans participation, et là-dessus nous sommes tous tombés d’accord. »
À noter que Chirac n’était pas présent au bureau exécutif, mais que Debré, Messmer et Chaban y étaient.
Je vois quelques instants Yves Guéna après la conférence de presse qu’il réunit le même jour, 28 août. Il est dans une position difficile, puisque d’autres ministres UDR, dont Olivier Guichard, sont restés ou ont intégré le gouvernement 34 , tandis que Chirac en est sorti. Il navigue au mieux, donnant raison à Jacques Chirac d’avoir quitté son poste, et raison à Olivier Guichard d’y avoir fait son entrée .
Je demande à Guéna si, derrière tout cela, en pensant à la réaction très hostile d’Arlette de la Loyère au départ de Chirac, il n’y a pas eu une certaine revanche des « barons ». « C’est une plaisanterie », me répond-il, presque offusqué.
Je n’en crois rien : je ne dis pas qu’ils se soient ligués contre Chirac, ces « barons » si peu courageux tant que le Premier ministre avait la cote auprès de Giscard. Je dis qu’ils ne sont pas mécontents de son départ.
Olivier Guichard est-il le nouveau « coordinateur » ? Guéna sourit : « Coordinateur, c’est un mot chargé désormais de maléfices ; il aura un rôle politique, sans coordonner quoi que ce soit. »
Dans la journée, toujours le 28 août, première conférence de presse de Raymond Barre. Je l’ai connu il y a des années à Caen, où ses cours étaient suivis avec passion. Si on m’avait dit que cet homme ferait un jour de la politique et qu’il serait Premier ministre, je ne l’aurais jamais cru. Il parle d’une voix pointue, qui ne va pas avec son physique massif et rond. Il fait de la lutte contre l’inflation l’objectif principal du gouvernement. Comme si Giscard lui accordait tout ce qu’il avait refusé à Chirac, ce qui doit être d’ailleurs le cas, Barre souligne avec soin que le président de la République lui a confirmé qu’il agirait dans la « plénitude de ses fonctions ». Allusion à Chirac, qui vient d’affirmer en partant qu’il ne l’avait pas.
Michel Debré avait raison : Raymond Barre développe les mêmes thèmes que lui. Si la France ne surmonte pas la
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