Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
bloquez pas le plan Barre ! »
8) Sur Chirac, Boulin y va de son couplet, du genre : « Je ne lui veux pas de mal », etc.
Il rappelle pourtant que, le 14 décembre 1974, il avait été le premier à protester quand Chirac était devenu secrétaire général del’UDR. Il lui avait dit à ce moment-là que le général de Gaulle aurait été hostile à un tel cumul. Après cela, Chirac a fait des promesses folles, notamment en garantissant aux agriculteurs leurs revenus et leur niveau de vie. « Il est complètement a-réformiste, me dit-il. Il pense, comme Pompidou, qu’on n’est pas là pour cela, que le monde va si vite qu’il ne faut surtout pas accompagner l’évolution, mais la freiner, au contraire, coûte que coûte. »
Il me rappelle que Pompidou lui avait dit, en le remerciant en 1973, c’est-à-dire en le fichant dehors : « Vous êtes un type bien, mais pourquoi êtes-vous si réformiste ? » « C’était un compliment, me dit Boulin. En forme de mise en congé ! »
22 septembre
Annonce du plan Barre. Chemise bleue, cravate à pois bleus, costume rayé, il fait un cours d’histoire économique qui me plonge dans l’ennui. Je ne suis pas la seule : près de moi, mon ami Henry Chapier fait mine de s’endormir. Réaction idiote (cela vaut pour moi) de journalistes politiques habitués aux campagnes électorales et aux effets de manches.
Reste que le propos est long et ardu. Sauf les quelques phrases de la fin, quand il se rend compte lui-même que l’attention n’y est plus : « Je ne suis pas seulement un économiste, plaide-t-il, je me suis rendu compte de la situation morale, psychologique de la France, de la grande diversité de ce pays et de ses structures sociales. »
« Faire ce qui est souhaitable et possible », tel est l’objectif de bon sens qu’il s’assigne.
Déjeuner avec Serge Maffert. Quelques précisions intéressantes :
C’est au discours sur la coordination que Maffert fait remonter les premières divergences avec Giscard. La pression exercée par Chirac pour se faire nommer « coordinateur » a finalement exaspéré le chef de l’État.
Il parle ensuite longuement des relations entre Chirac et Pierre Juillet. Jamais une seule fois en deux ans Juillet n’a accepté de quitter son bureau pour se rendre dans celui de Chirac. Il avait toujours une bonne raison pour obliger le Premier ministre à se déplacer, lui. Façon de le mettre volontairement en situation d’infériorité.
30 septembre, 1 er et 2 octobre
Journées parlementaires de Rocamadour. Chirac joue l’Arlésienne. Il n’est pas là, mais on ne parle que de lui.
Viendra-t-il ? Quand ? Que fera-t-il ? Il n’est question que de l’éventuelle arrivée de l’ancien Premier ministre, jusqu’au moment où l’on prend connaissance de la lettre qu’il a adressée à Yves Guéna, secrétaire général du mouvement gaulliste, juste avant ces rencontres de Rocamadour.
Chirac demande donc que s’ouvre un débat démocratique en vue de la transformation indispensable du mouvement gaulliste, et propose la tenue d’assises nationales extraordinaires « dans les meilleurs délais ».
C’est une façon de vider ces journées parlementaires de leur contenu et de désamorcer le discours de Raymond Barre, que Claude Labbé a invité ici quelques jours seulement après la démission spectaculaire de Jacques Chirac.
On a l’impression que rien ne se joue ici en cette fin de semaine. Cela énerve beaucoup les partisans de Guichard, qui auraient bien voulu faire oublier le départ de Chirac. Cela irrite les anciens chabanistes entrés au gouvernement en août dernier, comme Robert Boulin. Cela exaspère les partisans – il y en a quelques-uns à Rocamadour – de Raymond Barre. Le nouveau Premier ministre pensait pouvoir, grâce notamment à Guichard, mais aussi grâce aux ennemis de Chirac présents dans l’assistance, marcher sur un tapis rouge : c’est raté !
Du coup, les prises de parole à la tribune ne présentent plus grand intérêt ni pour les députés présents, ni pour les journalistes. Ce qui se dit dans les couloirs, en revanche, prend d’autant plus d’importance.
Ainsi, Michel Debré me raconte, après avoir prononcé son homélie dans la salle, et sur un ton plus intime, qu’il a vu Giscard, hier. Il lui a parlé du plan Barre et de l’Europe. Sur l’Europe, VGE l’écoute et lui dit : « Bon, je vais dire à Barre qu’il n’en parle pas
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