Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
de faire un parti gaulliste dégagé de sa légende. Que va donner un parti gaulliste en rupture avec le gaullisme de légende ? Pas grand-chose...
« Tout le problème de la majorité est là, poursuit-il. Lorsque de Gaulle aura disparu, le mythe s’effondrera. Le danger serait qu’alors le seul mythe soit l’unité de la gauche : voilà pourquoi Giscard essaie, de son côté, d’en fabriquer un. »
Ce qui n’empêchera pas les amis de Giscard d’aller à Lille : « Nous ne voulons pas faire d’esclandre, me dit Ponia. Et, en plus, nous aurons des observateurs dans la place ! »
24-26 novembre
L’équipe politique de L’Express dans sa totalité, Claude Imbert 26 en tête, est à Lille pour ces assises du mouvement gaulliste. Je crois bien que c’est la première fois que nous nous déplaçons ensemble, toutes hiérarchies et toutes fonctions journalistiques confondues, directeur politique, éditorialiste, sans oublier les « petites mains » que nous sommes, Catherine, Irène et moi 27 .
Pourquoi cette présence massive ? Parce que chacun sent bien – Georges Suffert et Claude Imbert surtout, captivés par la personnalité de Georges Pompidou – que les assises de Lille devraient marquer un tournant : le Premier ministre doit prendre une nouvelle dimension, s’il veut à un moment donné être en mesure de succéder au général de Gaulle.
Cela fait longtemps qu’à L’Express le Général est contesté, Jean-Jacques Servan-Schreiber ne s’en prive pas, d’un éditorial à l’autre. Lille, c’est le moment ou jamais. Ou bien Pompidou impose sa loi au mouvement gaulliste, ou bien il n’y parviendra jamais.
À peine le temps de déposer nos sacs à l’hôtel, nous voici sous la voûte du palais des expositions.
C’est curieux, une grande messe du parti gaulliste. Il y a les grands prêtres, comme Michel Debré. Le chantre : André Malraux. Les gaullistes historiques, qui n’aiment pas Pompidou. Les barons du gaullisme, comme Olivier Guichard ou Roger Frey, qui au contraire se « pompidolisent » à toute allure. Les pompidoliens tout court, comme Jacques Chirac, le jeune loup qui a fait son entrée au gouvernement juste après avoir gagné son siège de député en Corrèze.
Tous sont applaudis, tous applaudissent. Il faut du temps pour comprendre ce qui s’y passe en réalité.
À l’applaudimètre, c’est Michel Debré qui gagne. Mais, en coulisses, Catherine Nay, qui ne quitte pas les dirigeants d’un pouce, me dit que Pompidou mène sa barque à merveille et qu’il parviendra à imposer à la tête du mouvement la personnalité d’un normalien, agrégé de lettres classiques et député-maire de Dijon, Robert Poujade, sur lequel il compte pour, en douceur, préparer la transition. C’est ainsi effectivement que se terminent les assises. Sans que Georges Pompidou ne s’y soit jamais vraiment fait ovationner, il a emportéle morceau. À nouvelle organisation, nouveau nom : l’UNR disparaît. L’Union des démocrates pour la V e République, l’UDR, est née.
27 novembre
Comme pour montrer, quelques jours après son soixante-dix-septième anniversaire, qu’il n’est pas gâteux, qu’il n’a pas perdu l’esprit avec le Québec libre, le général de Gaulle multiplie les bons mots pendant la conférence de presse qu’il vient une nouvelle fois 28 de réunir. Là encore, c’est à la télévision, en couleurs s’il vous plaît, que je le regarde avec mes camarades de L’Express .
Tout y est pour émoustiller son auditoire – et réaffirmer les principes de son action intérieure et internationale. Dont cette phrase sur les juifs, « un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ». Tim 29 qui est auprès de moi manque d’en avoir une attaque. Je sais, rien qu’à sa réaction, quel sera le sujet de son dessin la semaine prochaine !
14 décembre
Jules Borker, l’avocat communiste qui continue de négocier avec les socialistes depuis les jours de 1965 où Waldeck Rochet a décidé de soutenir Mitterrand, me dit que dans la plateforme commune entre la Fédération de la gauche et le PC, en préparation, qui devait être publiée en décembre et ne le sera pas avant janvier, l’Europe fait problème. « Nous n’accepterons pas, me dit-il, d’inclure dans un programme l’Europe politique. »
François Mitterrand, sur ce sujet, me dit : « Le PC n’aime pas que nous prenions l’initiative à sa place, il faudra bien qu’il
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