Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
gouvernement – ce qui n’était pas le cas il y a quelques mois. Il n’est pas très chaud, lui, Mitterrand, sur leur participation effective.
Sur les débats internes de la Fédération de la gauche : il y a en réalité un gros problème avec le parti socialiste, c’est celui des effectifs. La SFIO gonfle partout ses effectifs, en annonçant aujourd’hui plus de 100 000 membres. Ni René Billères ni Mitterrand ne veulent – ni sans doute ne peuvent – soutenir pareille surenchère. « C’est là une compétition dans laquelle nous ne voulons pas nous lancer. Il serait très facile de faire fabriquer des cartes et même de les placer. Mais l’esprit en serait déplorable.Nous nous mettrions à suspecter nos partenaires, à vérifier les cartes. Ce serait du pire effet. »
D’où la volonté de Mitterrand de procéder à la pondération des organismes directeurs de la FGDS le plus rapidement possible, en veillant à ne pas se laisser dominer par les socialistes.
Avec les radicaux, les difficultés viennent de Félix Gaillard. Pour Mitterrand, il n’y a aucun conflit avec Maurice Faure, envers lequel il éprouve, me dit-il, de l’amitié. Amitié, le mot est rare, il m’étonne, c’est pourquoi je le note, dans le vocabulaire de Mitterrand qui a peu d’amis en politique. Ils se sont vus il y a quelques semaines. « J’ai déconné, lui a dit Maurice Faure, mais finalement, vous m’avez assez bien rattrapé entre les deux tours. 31 »
Réponse de Mitterrand : « Il nous est arrivé à tous de déconner un jour. L’important est de s’en apercevoir à temps. » Maurice Faure raconte cela à tous ses amis, paraît-il, mais Mitterrand n’est pas fâché de me le raconter à son tour. Après cette conversation, leurs relations ont pris un tour amical qu’elles n’avaient jamais eu auparavant.
« En revanche, Félix Gaillard, continue Mitterrand pendant que Billères opine du chef, prend dans le domaine économique des positions que pas même Giscard ne prendrait : nécessité du libéralisme économique, non-intervention de l’État, etc. »
Conclusion : il n’a rien à faire à la Fédération de la gauche. Mais l’en chasser serait catastrophique. De toute façon, il a, Billères le confirme devant moi, de moins en moins de partisans au Parti radical. « Il suffit d’attendre », conclut sobrement Mitterrand.
• Sur le contre-gouvernement : il était impossible, selon Mitterrand, de modifier la composition du contre-gouvernement avant que ne soient réglés les problèmes des structures de la Fédération et de sa pondération interne. Toute nouvelle nomination aurait été considérée comme une intrusion par telle ou telle famille de la Fédération. Cela a été le cas de Jean-François Revel, conventionnel, que les radicaux et les socialistes auraient mal accueilli en considérant qu’il s’agissait là d’un nouveau « forcing » de François Mitterrand pour imposer ses hommes.
En revanche, lorsque la question des structures aura été définitivement déblayée, Mitterrand trouverait bon de présenter un visage un peu plus moderne de la Fédération : le contre-gouvernement servira à ça.
• Sur Guy Mollet : il était, affirme Mitterrand, réellement ému de parler, pour la première fois de sa vie, devant un congrès radical. René Billères ajoute une sorte de psychanalyse de Guy Mollet que je n’ai jamais entendue : « Guy Mollet a des frustrations formidables. Il a toujours peur de se faire avoir par tout le monde. Il suffirait d’en faire l’enfant chéri de la Fédération, de le choyer, de le caresser, de lui raconter sa vie et de l’inviter tous les soirs à dîner pour que nous n’ayons plus jamais de problème avec lui. »
• Sur la situation politique à venir : selon François Mitterrand, il n’y aura pas de crise parlementaire. Personne n’en veut et surtout pas ceux qui pourraient la provoquer : les giscardiens. Il ne pense d’ailleurs pas pouvoir prendre le pouvoir directement après le gaullisme. Il imagine plutôt une période de transition, où Pompidou exercerait le pouvoir avec la droite, bien sûr, mais aussi avec une partie du centre droit et du centre gauche. Comme René Billères assiste à notre conversation, il ne dit pas « avec certains radicaux », mais il le pense fortement. Cette période intérimaire durerait selon lui deux ans, à peine plus, et incarnerait une sorte de retour à la IV e
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