Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
aux séminaires politiques. Au menu, cinq rapports pour définir l’orientation future de la Fédération. Manifestement, les socialistes et les conventionnels ne sont pas sur la même longueur d’onde. Mollet ne veut pas laisser la Fédération à Mitterrand. Tout compte fait, il préfère rester dans sa SFIO, et en être le secrétaire général. Piètre ambition et petits calculs.
Fin juillet
Tandis que la France part en vacances, le général de Gaulle, lui, est au Canada. Hier, le 24, au balcon de l’hôtel de ville rococo de Montréal, devant une foule immense, il parle et sa voix tremble d’enthousiasme. Quelques minutes de discours lui suffisent pour créer un incident diplomatique sans précédent.
Il se laisse aller à une première confidence surprenante, quand on relit, comme je le fais, son discours dans les journaux du lendemain : « Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas : ce soir, ici et tout au long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération ! »
La Libération, pourquoi ça, et pourquoi ici ? Le temps à peine de se le demander qu’en fin de discours, sa voix vibre à nouveau d’uneémotion inhabituelle : « Voilà ce que je suis venu vous dire ce soir, en ajoutant que j’emporte de cette réunion inouïe de Montréal un souvenir inoubliable, vive Montréal, vive le Québec ! »
Un temps, à peine perceptible, puis il lâche sous les ovations de la foule « Vive le Québec libre ! »
Il n’est question aujourd’hui que de cette phrase du Général. Lequel a immédiatement regagné la France en écourtant sa visite outre-Atlantique.
À Paris, les gens hésitent entre la rigolade – ce qui est mon cas – et l’indignation. En réalité, le monde politique se partage en deux : les uns se demandent si le discours, qui paraît-il n’avait pas été communiqué à Georges Pompidou, est la marque du déclin intellectuel et physique du général de Gaulle ; les autres pensent que la volonté, intacte, du Général est de désigner les Américains comme les derniers impérialistes.
Je rencontre, en fin d’après-midi, le 28, Paul-Marie de la Gorce au bar du Crillon. Journaliste, gaulliste de gauche, il s’indigne contre ceux qui font de De Gaulle un vieillard gâteux, ou ceux qui comme moi, rigolent à l’idée d’un énorme faux pas diplomatique.
Il ne croit pas un instant que le Général se soit laissé aller à l’improvisation. Il est enthousiaste, même, à l’idée que de Gaulle ait osé, sur le continent américain, défier l’impérialisme américain. Avec lui, une bonne moitié des troupes gaullistes, à l’intérieur de l’UNR, encore plus à l’UDT, est emballée, contrairement à la classe politique, par l’éclat du Général.
Septembre
C’est la rentrée. (Et moi j’ai depuis moins d’un mois un petit garçon prénommé Thierry.)
La valse-hésitation de la fusion continue. Parfois les négociateurs socialistes, conventionnels et radicaux tombent d’accord. La semaine d’après, rien ne va plus. Heureusement que ma période de congé maternel n’est pas encore achevée, car je n’oserai pas proposer un papier sur ce sujet de crainte de faire rigoler tout le monde.
15 septembre
Réunion de la Fédération – donc des trois partis qui la composent – sur l’idéologie. Ça se passe à Bondy. Les clubs arrivent avec un texte de neuf pages, rédigé par Estier et Pomonti. Claude Fuzier, qui conduit la délégation socialiste, lit le texte en un quart d’heure. « Nous n’avons pas un mot à changer », dit-il à Claude Estier.
Michel Soulié 22 , pour le Parti radical, le lit à son tour. Timidement, il avance : « Et si nous mettions que nous sommes favorables à la collectivisation des moyens de production, ça irait pour vous ? » Socialistes et conventionnels n’en attendaient pas tant. Dès lors, tout va très vite et le texte sur l’idéologie est accepté. Ce qui laisse le temps aux trois délégations de faire, en autocar, le tour des réalisations de rénovation urbaine du maire socialiste de Bondy.
20 septembre
Rencontré dans un bistrot de Montparnasse, où il m’a donné rendez-vous, Jules Borker, l’avocat communiste. Il me parle évidemment de politique extérieure et de tout ce qui sépare les socialistes des communistes : le système des alliances stratégiques actuelles est à revoir, me dit-il. Le PC n’a jamais formulé
Weitere Kostenlose Bücher