Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
s’y habitue. » Il ajoute : « Comme je suis au fond celui qui, en cas d’accord entre la Fédération et le PC, paraît être destiné à la fenêtre du château, comme Masaryk, je suis le mieux placé pour prendre mes précautions. Je n’ai pas de vocation à la défenestration. 30 »
18 décembre
Le 64 e congrès du Parti radical vient d’avoir lieu à Toulouse. Les banquets succèdent aux banquets. Pour la presse, les radicaux ont sorti le grand jeu : foie de canard froid, baron d’agneau et truffes. Pour le banquet de clôture, auquel François Mitterrand et Guy Mollet sont invités : salade frégatons, cassoulet toulousain et croustade toulousaine.
J’ai demandé à Michel Soulié il y a quelques jours, le 13, ce que les radicaux pensaient de Mitterrand. Il m’a répondu : « Ce qui me frappe, c’est que les réactions à Mitterrand sont individuelles et personnelles. Les gens l’aiment ou ne l’aiment pas selon qu’il a plu ou déplu à la télévision. Sa politique n’est pas remise en cause. Sa personnalité, oui. »
Dans les coulisses du congrès, tout le monde parle de la décadence du Parti radical. Quand je demande à Soulié, ou à Brousse ou encore à André Cellard, la raison de ce déclin, ils me répondent tous que, sous la IV e République, la volonté d’exercer le pouvoir (certains disent : « l’épicurisme » du Parti radical) avait remplacé la doctrine. La fin de la querelle laïque, la bipolarisation ont fait le reste. Le problème est que, comme me le dit l’un d’entre eux : « Sans militant, un jour vient où il n’y a plus de candidat. »
Voilà pourquoi les radicaux se sont ralliés sans trop de difficulté à Mitterrand en 1965. Ce qui n’empêche pas qu’ils ont peur d’être phagocytés par la Fédération. Et qu’une bonne partie des interventions des uns et des autres révèlent leur méfiance à l’égard de Mitterrand. Comme Félix Gaillard, par exemple, qui juge que « la fusion en un parti unitaire ne paraît ni sérieuse ni solide. » C’est une façon de dire non à Mitterrand. Et non aussi aux communistes.
Le dimanche, pourtant, André Rousselet, Georges Dayan, Charles Hernu et surtout François Mitterrand sont assis à la table d’honneur avec Évelyne Baylet, Gaston Monnerville et René Billères.
Guy Mollet est là aussi : c’est la première fois, me dit-il, qu’il parle devant un auditoire radical-socialiste. Quant à Mitterrand, il répète qu’il « convient d’aller de l’avant, et de former la force politique qui amènera au pouvoir ». Comme il a entendu les réticences de certains radicaux, de Félix Gaillard notamment, il tient le discours que les radicaux ne demandent qu’à entendre. La FGDS, dit-il, c’est à la fois la lutte contre le pouvoir personnel, la lutte pour l’avènement dusocialisme, mais d’un socialisme qui soit le meilleur instrument de l’épanouissement de l’homme. Abattre de Gaulle, créer un socialisme à la française, et au surplus ramener les radicaux au gouvernement, leur distribuer des portefeuilles, tout, dans son discours, met du baume au cœur de ses interlocuteurs.
François Mitterrand repart tout de suite par le Capitole. Il est dans la voiture n o 10, avec Billères. Inutile de dire que je prends le train aussi. Bien m’en prend : j’ai avec Mitterrand, en présence de René Billères, une conversation d’une heure. J’écrirai demain.
20 décembre
Très longue conversation, donc, dimanche soir 17, avec François Mitterrand en revenant de Toulouse.
Sur l’accord avec les communistes : il ne voulait pas trop presser le mouvement pour plusieurs raisons. La première est que la priorité des priorités, dans les pourparlers avec les communistes, lui semble être, depuis le début, la structuration de la Fédération. Il dit : « C’est toujours la même chose avec les communistes. Dès qu’ils nous croient faibles, ils en profitent pour faire une escalade verbale. Leurs propos et leurs revendications s’amenuisent lorsqu’ils nous sentent forts. »
Il m’a donc confirmé qu’il avait attendu la tenue du congrès radical, et son orientation favorable à la Fédération de la gauche, pour rendre public le texte de l’accord avec le parti communiste. Pour sa part, il n’a jamais parlé de programme de gouvernement, mais de contrat de majorité.
Il sous-entend que les communistes se posent désormais la question de leur participation au
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