Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
gauche. À force de la brandir sans arrêt, elle s’est émoussée.
Première victime : Jacques Duhamel, député du Jura et chef du groupe centriste. Celui-ci s’est divisé : 29 n’ont pas voté la motion de censure, 10 ont mis leur boule dans l’urne. Le pauvre Duhamel a dû s’évertuer à plaider à la tribune qu’il condamnait la politique du gouvernement, mais qu’il ne voterait pas la censure. Exercice dans lequel il a paru mal à l’aise et dont il est sorti en espérant qu’on ne l’y reprendrait plus.
Novembre. 9 e assises de la Convention des Institutions républicaines au Palais d’Orsay à Paris
Pour le coup, l’atmosphère est chaleureuse. C’est que le PC a fait, dans la semaine qui précède, un grand pas, puisqu’il a accepté la première version d’une plate-forme de la gauche, un texte de vingt-cinq feuillets élaboré par la commission restreinte en charge depuis trois mois. Le texte ne sera rendu public qu’à la fin de l’année. Mais c’est, me disent les conventionnels, un accord nécessaire à l’exercice du pouvoir. Important : le PC ne remet plus en cause l’élection du président de la République au suffrage universel. Et il accepte, avec les représentants de la Fédération, de souscrire ensemble un contrat de législature. Points qui font problème : l’importance du secteur nationalisé, sur lequel le PC donne une longue liste d’industries à nationaliser – électronique, automobile... –, tandis que les fédérés n’entendent collectiviser sur les banques d’affaires et les industries d’armement. Et la politique diplomatique au Moyen-Orient : les communistes sont pro-arabes et la SFIO pro-israélienne !
Mitterrand prend la parole à 16 heures, le 5. Bien qu’il ait un orgelet à l’œil gauche, il est d’excellente humeur et optimiste sur l’avenir : « À mesure que la Convention vieillit, dit-il, ses membres rajeunissent ! »
Je rencontre pour la première fois André Rousselet, élu de Toulouse en mars, qui vient tout juste d’épouser la fille d’un ami de Mitterrand dont il est éperdument amoureux. Il faut dire qu’elle a 18 ans et qu’elle est vraiment ravissante. La plupart des conventionnels, à côté de Rousselet – silhouette mince, impeccable dans des vêtements bien coupés – paraissent courts sur pattes.
Dire qu’il est sympathique serait excessif. Il paraît manifestement désireux que sa jeune épouse, Catherine, n’ait pas de contact avec la journaliste que je suis. Cela pourrait, a-t-il l’air de croire, lui donner des idées d’indépendance : là n’est pas l’avenir qu’il dessine à sa jeune femme. Bonne chance à elle !
20 novembre
Paul-Marie de la Gorce me parle du programme du congrès UNR qui se réunit la semaine prochaine à Lille. C’est Roger Frey qui présentera le rapport sur les statuts (il a été en réalité rédigé par Michel Habib-Deloncle). Le secrétariat national (un collège de cinq membres) sera vraisemblablement maintenu, encore que les parlementaires UNR jugent qu’aujourd’hui aucun des cinq n’a la moindre autorité. « Il n’y a jamais eu de patron jusqu’à présent, me dit Paul-Marie, c’est pour cela qu’Albin Chalandon, qui a eu le poste à unmoment, a laissé tomber le secrétariat. Roger Frey, depuis, ne fait qu’expédier les affaires courantes !
– Pourquoi ça, pas de patron ?
– Cela tient à l’histoire même du mouvement gaulliste. Il n’y a jamais eu d’opposition interne à la politique du général de Gaulle. Et pas de chef du mouvement autre que le Général. Aujourd’hui, s’il y en avait un, de patron, ce ne pourrait être, aux yeux du général de Gaulle, que Georges Pompidou lui-même. Il n’est pas dit qu’il le souhaite ! »
En attendant, ceux qui ne le souhaitent pas, ce sont, m’explique-t-il, René Capitant et Louis Vallon, gaullistes de gauche qui ont déjà fait savoir qu’ils n’iraient pas à Lille, ces assises leur semblant de nature à faire accepter Georges Pompidou comme héritier naturel du gaullisme. Ce qu’ils ne veulent pas, bien sûr, persuadés que le Premier ministre ne partage pas les vues du général de Gaulle en matière de politique étrangère et sociale 25 .
Le même jour
Michel Poniatowski est lucide : « Georges Pompidou, me dit-il, est de train de créer un parti politique pour l’après-gaullisme. Le congrès de Lille, insiste-t-il, c’est la tentation pour Pompidou
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