Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
nous, je ne vois pas le général de Gaulle faire les Français juges de difficultés internes à sa majorité !
Toujours est-il que Giscard leur a redit qu’il restera à l’Élysée en cas de victoire du programme commun. Avec une argumentation qui est pour lui une évidence : « L’homme fort, dans ce cas, ce n’est ni Mitterrand, ni Chirac, c’est moi, Giscard. C’est à moi de provoquer une crise, ou pas. Si Mitterrand gagne, j’ai de toute façon les clefs de la situation : je ferai un gouvernement... deux gouvernements... au quatrième, cela finira bien par marcher !
« Chirac, ajoute-t-il, n’a pas, lui non plus, le contrôle de la situation, je suis le seul à l’avoir. Aucun des deux ne décidera d’une crise si moi, Giscard, je ne le veux pas. »
7 janvier
J’ai rendez-vous avec Giscard, dans son bureau, pour le livre que je projette d’écrire sur le système Giscard et la société française. Il faut, pour y parvenir, traverser le bureau d’Yves Canac, puis deux salons, avant d’arriver au bureau d’angle au-dessus du jardin. Le président m’accueille, affable, par ces quelques mots : « Qu’est-ce que votre vie devient ? »
Il parle de mon départ de L’Express et de mon arrivée à France-Inter 4 . Je lui explique que, après plus d’une dizaine d’années passées à L’Express , j’avais envie de changer. Je ne lui dis pas que son ami Philippe Grumbach me cassait les pieds. Urbain, un peu trop, il demande des nouvelles de mon frère. Apprend avec stupeur que j’ai des enfants, comme s’il continuait de penser qu’une femme qui travaille ne pouvait pas être mariée et mère de famille ! Lorsque je lui dis que mes enfants sont aussi ceux de l’éditeur Claude Tchou, il s’extasie et m’avoue qu’il trouve les Eurasiennes bien jolies !
Puis commence, au-delà des mondanités, le vrai dialogue. Je lui explique les grandes lignes de l’essai que j’entreprends d’écrire : les rapports entre lui et son Premier ministre, les réformes commencées – vote à 18 ans, avortement, divorce, les plus-values, l’Europe... Où se situent les blocages : dans le monde politique, chez les Français, chez lui ? Pour déboucher sur une analyse du système présidentiel, qui est aussi le système Giscard.
Je ne prends pas de notes pendant qu’il me parle, mais voici ce que je retiens de notre dialogue :
« Je ne pense pas que je sois, comme vous semblez le penser, me dit-il, un personnage de roman. Au contraire, je n’ai jamais changé d’avis sur les points essentiels de ma pensée. Regardez le général de Gaulle [tiens, Paul Granet avait raison, il pense beaucoup au Général !]. Il a changé d’idées sur les problèmes politiques essentiels. Moi, jamais !
« Non, vous voulez sans doute dire que je suis un personnage non politique. C’est pour cela que le monde politique est souvent allergique à moi, à ce que je représente. C’est très simple : au début de ma vie, les gens ont cru que j’étais tel que mon milieu social m’avait fait. Puis ils ont découvert que j’étais autre chose. Cela ne leur a pas toujours plu ! »
Il parle de la « psychanalyse des Français » – ce sont ses propres termes – vis-à-vis de la réforme :
« Dans un premier temps, les Français sont globalement favorables à la réforme. Dans un deuxième temps, au stade de l’étude de la réforme, ceux qui l’étudient sont par définition toujours pour, forcément. Vient le troisième stade, celui de la réforme : très rapidement se crée un consensus dans l’opinion publique pour n’en dénoncer que les aspects négatifs. À partir de là, toute réforme cohérente est démantelée en petits bouts ridicules. »
Je lui propose de prendre l’exemple de l’avortement. « C’est très intéressant, acquiesce-t-il : c’est moi, vous savez, et moi seulement qui ai mis l’affaire sur le tapis. Sans moi, cela ne se serait jamais fait. »
Les plus-values, c’est autre chose. Il aurait fallu, selon lui, « rendre les choses plus accessibles et plus rapides. Plus simples, aussi : j’avais déjà réécrit le texte. Je ne pouvais pas le réécrire plus tard. Il fallait aller plus vite : mais là, franchement, je ne savais pas que le chef du gouvernement allait être aussi hostile au projet !
– Il ne vous l’avait pas dit ?
– Voyez-vous, souffle-t-il, Jacques Chirac est un politique ! Ses idées ne lui sont dictées
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