Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
qu’en fonction de raisons politiques. Donc, il n’a réagi que lorsque la classe politique, l’UDR en l’occurrence, a marqué son hostilité au projet sur les plus-values.
« Pour simplifier, résume-t-il, disons que, dans le cas de la réforme sur l’interruption volontaire de grossesse, l’opinion publique était contre, puis elle s’est retournée. Il ne reste qu’une toute petite partie, 4 à 5 % des Français, pour lui être restée hostile. Dans l’affaire des plus-values, l’opinion était contre, la classe politique aussi. »
Je lui fais remarquer que cela ne m’étonne pas : le discours de J-J S-S à l’Assemblée avait très bien fait état de l’hostilité générale des conservateurs à toutes les formes d’impôt depuis le début du siècle.
« Oui, c’est vrai. Mais ce qu’il faut retenir, au bout du compte, c’est que la loi est bonne, et qu’elle ne sera pas changée. C’est l’essentiel. Sur l’Europe, l’élection de l’Assemblée européenne au suffrage universel, l’opinion publique est tout à fait favorable, tandis qu’une partie de la classe politique, toujours la même, est contre. »
Je demande où se situent les blocages.
« L’État-UDR existe, répond Giscard. Prenons l’exemple de J-J S-S en Lorraine. Xavier Marchetti a publié ce matin un article tout à fait stupide, mais très révélateur. Voyons : Jean-Jacques Servan-Schreiber est en piste pour le conseil régional de Lorraine, c’est Pierre Messmer qui se présente sans même passer un coup de téléphone à Raymond Barre ou à Poniatowski, et c’est Servan-Schreiber que Marchetti traite de diviseur ! On croit rêver ! Le poids de l’UDR est encore si fort qu’il est tout naturel que Messmer se présente contre le tenant du titre ! Il y a une fabuleuse intoxication autour de l’État-UDR, vous n’en avez pas idée ! »
Nous parlons maintenant de la majorité et de la conférence de presse prévue pour le 17 janvier.
Il me parle de l’opposition : « Lorsque la gauche prétend que, moi, je n’ai pas envie de gagner les élections, c’est également une intoxication. »
Au contraire, il le dit, le répète, il faut gagner, car le programme commun est une vraie catastrophe pour la France : « La moindre nationalisation aujourd’hui serait le prélude à l’affaiblissement définitif de la France !
« Et donc – c’est sa conclusion – il faut que la majorité s’arrange ! »
Il ne me dira plus un mot sur Chirac de toute la suite de notre conversation. Mais il parle, pour éviter de prononcer le nom de son ancien Premier ministre, de l’analyse de Marie-France Garaud, pour dire qu’elle est fausse : « Il est impossible, contrairement à ce qu’elle pense, de garder la majorité dans l’immobilisme. Il faut aller de l’avant, transformer la société et non pas se fixer sur des situations acquises, mais périssables.
« Il y a plusieurs équipes, dit-il encore, dans la vie politique actuelle. L’équipe de Gaulle : disons que Geoffroy de Courcel appartient à cette équipe, Burin des Rosiers, Roger Frey aussi, d’une certaine façon. Certains de ceux-là, c’est le cas de Frey, me soutiennentabsolument. Olivier Guichard aussi. Puis il y a l’équipe Pompidou ; vous savez où elle se trouve. Et enfin la mienne, encore que celle-ci soit en train de se transformer, car j’enregistre beaucoup de ralliements. »
Je lui demande s’il n’éprouve pas la tentation de dire parfois tout simplement qu’il n’a pas la majorité de sa politique, et de voir ce que cela donnerait.
« Si je jouais, oui, répond-il, j’aurais cette tentation. Cela serait d’ailleurs tout à fait conforme à la vérité. Pourtant, je ne le ferai pas, bien sûr, parce que je ne joue pas. On ne joue pas quand on est au poste où je suis. Même si je vous garantis que, pour moi, être ici relève plutôt du sacrifice ! Mais je redirai le 17 que la majorité doit garder ses deux pôles ! »
Je suis incapable de savoir ce qui le retient, depuis deux ans, et plus encore aujourd’hui, alors que Jacques Chirac a quitté Matignon, de renverser la table de jeu, les cartes de la partie, de procéder à des élections anticipées et de se risquer à constituer enfin sa majorité. Il aurait pu plus facilement le faire en 1974, évidemment, après son élection. C’était jouable en 1975 aussi, avant que Chirac n’ait recollé les gaullistes dans leur totalité autour de
Weitere Kostenlose Bücher