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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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été ratée, autant celle-ci, que j’écoute, avec d’autres, à l’Assemblée nationale, est réussie : le ton a changé, il est là, il dit « je », il garde tout le monde, à commencer par lui-même. Et surtout il utilise, au moment où l’angoisse monte, l’arme de la peur : celle du « communisme totalitaire ».
    Aujourd’hui, juste après l’allocution du Général, une manifestation gaulliste était prévue sur les Champs-Élysées et la place de la Concorde. Je croyais qu’il n’y aurait pas grand monde, car je supposais que les Parisiens – les Parisiens de droite –, après tant de nuits d’émeute, n’oseraient pas mettre le nez dehors. Vers 18 heures, avec d’autres journalistes, transistor à l’oreille, je sors. Du haut des marches de l’Assemblée nationale, côté Seine, nous scrutons au loin les manifestants gaullistes. Les quelques députés de gauche qui sont sortis avec nous pour juger de la réussite ou de l’échec de la manif commencent par ironiser sur le côté clairsemé du rassemblement. Ça ne dure pas longtemps : au bout d’une dizaine de minutes, renseignés par les reporters d’Europe 1 et de RTL, nous avons tous compris : la manifestation gaulliste, menée, nous disent les radios, par Michel Debré, André Malraux, d’autres encore, réunit des centaines de milliers de gens qui ont eu trop longtemps peur. Nous sommes stupéfaits de l’ampleur de la riposte : du coup, les députés gaullistes qui sont encore au Palais-Bourbon ceignent leur écharpe et s’apprêtent pour la plupart à rejoindre la Concorde.
    Les députés de l’opposition ont compris eux aussi que la suite des événements serait encore plus compliquée que prévu. Charles Hernu, qui m’a entraînée sur les marches de l’Assemblée nationale et qui ironisait tout à l’heure sur la faible participation à la manifestationgaulliste, ne souriait plus du tout au moment où j’ai quitté l’Assemblée. Lorsque je rentre chez moi, vers 21 heures, les échos de la grande manifestation gaulliste – une véritable marée humaine, disent les reporters radio – résonnent encore sur le boulevard Saint-Germain. En revanche, la place Saint-Germain-des-Prés est déserte pour la première fois depuis longtemps.

    3 juin
    Fabrice à Waterloo : j’ai l’impression de n’avoir pas compris grand-chose à la guerre qui se jouait devant moi. Avant la première semaine de mai, je n’ai rien vu venir. Par la suite, je n’ai pas été terrorisée par les moulinets des mouvements gauchistes, sans jamais être séduite non plus par leur remise en cause de la société de consommation, qui m’a toujours semblé la preuve qu’il s’agissait bien d’un mouvement d’enfants gâtés dans une France opulente. Les communistes m’ont toujours paru s’inscrire dans la légalité : pour avoir longuement parlé avec Roland Leroy pendant tout le mois de mai, je sais à quel point il redoutait que le PC et la CGT soient dépassés par leur base. Quant à Mitterrand, je ne l’ai jamais vu avide de prendre le pouvoir, contrairement à ce que les images de la télévision ont pu laisser croire. J’ai bien vu, enfin, que la peur s’installait dans le pays. La seule chose qui me paraissait sûre, pourtant, dans tout cela, c’était la fin du général de Gaulle, contesté par les uns, mal défendu par les autres.
    C’est donc parce que le Général a parlé dans sa dernière allocution du « péril totalitaire » qu’il a retourné la situation. Je sais que c’est faux, puisque j’ai passé mon temps, depuis le début mai, avec les communistes et les socialistes : sans le Parti communiste, les gauchistes auraient fait davantage de dégâts. Personne n’a été « aventuriste » dans la gauche classique.
    Je me suis demandé si c’était parce que j’avais assisté à tout cela, pour raisons professionnelles, depuis l’Assemblée nationale, poste d’observation particulier, éloigné des terrains d’affrontement, que mon jugement avait été faussé. Non : Jean-François Kahn et Jacques Derogy, qui ont été sur le terrain sans discontinuer, ont le même sentiment que moi : c’est le PC qui a assuré l’ordre, pas les flics.
    Bref, le vent de l’Histoire a tourné en quarante-huit heures. La bataille n’est plus, dans l’immédiat, celle de la mise en place d’ungouvernement provisoire de la gauche, mais la préparation d’une campagne des législatives que l’on

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