Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
un état où on ne l’avait jamais vue. Derrière les phrases du Général, j’entends un « ouf » de soulagement collectif des provinces françaises. Dans la fin de cette panique générale, les images de la conférence de presse de Mitterrand, diffusées et rediffusées, attisent le feu et nourrissent le procès de cette gauche dénoncée comme arrogante et totalitaire.
Avec Michel Droit, le général de Gaulle s’explique mal sur le remaniement ministériel qui a vu Debré remplacer Couve de Murville aux Affaires étrangères et Couve de Murville remplacer Debré aux Finances. Peu importe, tout le monde s’en fiche : l’essentiel est qu’il soit là, rempart contre le communisme qui ne l’a à aucun moment menacé. Le tout est de le faire croire. Il y réussit à merveille !
23 juin
Rien écrit pendant cette campagne. Je suis épuisée. Qu’en dire ?
La gauche a été incapable de s’entendre sur une quelconque unité de candidature au premier tour. Tout au plus socialistes et communistes sont-ils tombés d’accord sur des désistements réciproques au deuxième tour. À la Pentecôte, la Fédération de la gauche a déclaré à Suresnes la « mobilisation générale ». Cela a été la dernière occasion pour Guy Mollet et Gaston Defferre de rendre publiquement hommage à François Mitterrand.
Pendant ce temps, les bandes d’actualités qui passent dans tous les cinémas de France sur les voitures brûlées, les arbres déracinés, attisent la haine. Sans oublier les images de Mitterrand filmé pendant sa conférence de presse de mai, le bras levé dans un salut quasi fasciste, alors qu’en réalité il voulait arrêter d’un geste les applaudissements ! Je pense qu’il n’a pas vu lui-même ces films, car il en serait anéanti !
Claude Estier, qui se présente dans le 18 e arrondissement de Paris, est, lui, beaucoup plus pessimiste : il a beau dire à ceux qui l’écoutent que jamais la gauche n’a envisagé de faire un putsch ni de prendre le pouvoir, que c’est de Gaulle lui-même qui avait évoqué son départ en cas d’échec au référendum, que c’est lui qui avait quitté la France,les habitants de sa circonscription ne le croient pas, ou lui ferment leurs portes.
Les communistes avaient finalement raison. L’agitation gauchiste a tellement effrayé les Français que seule la droite sort vivante des décombres de mai. Bravo, vraiment, à tous ces jeunes gens qui croyaient pouvoir exercer le pouvoir, qui voulaient faire le bonheur du peuple malgré lui, et qui ont assuré à de Gaulle et à Pompidou des lendemains meilleurs !
Mitterrand ne manque pourtant pas de confiance : « Au premier tour, m’a-t-il dit dès l’ouverture de la campagne électorale, le 10 juin, on frisera la catastrophe ; au second, on verra ! » Son espoir réside dans la bonne tenue des candidats de gauche qui ont été élus en 1967, il y a tout juste un an : ce sont les mêmes qui se représentent, car ils n’ont pas eu le temps de s’user, et personne n’a eu le temps d’envisager de les remplacer. Leur victoire en 1967 empêchera-t-elle leur défaite en 1968 ?
Pas de tournée des leaders de droite ou de gauche dans les provinces françaises : la situation est encore très fragile et il n’y a pas d’infrastructures assez solides pour organiser des voyages des uns et des autres. La seule communication passe par la télévision.
Surprise : il n’y a pratiquement aucune violence durant cette campagne. Comme si le gigantesque défoulement de mai avait lavé la France de toutes ses velléités d’en découdre. Partis, les gauchistes, aux champs, à la mer, ailleurs. Bravo, encore bravo !
30 juin
Deuxième tour des législatives. Il n’y a pas eu de basculement psychologique entre le premier et le deuxième tour, contrairement à ce qu’espérait Mitterrand qui avait encore dans son souvenir le deuxième tour de 1967. À Paris, la Fédération de la gauche avait perdu au premier tour plus de la moitié de ses suffrages. À l’exception de François Mitterrand, tous les conventionnels sont battus au deuxième. Partout les gaullistes ont progressé 29 .
Tout cela se passe de commentaires. Je n’en ferai donc pas.
4 juillet
Après le bureau politique de la FGDS, je raccompagne chez lui en voiture François Mitterrand. La plupart des députés battus que j’ai rencontrés avant la réunion du bureau politique m’ont craché leur venin : les gauchistes ont
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