Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

débat.
    Terrible, d’ailleurs, de voir ce que la gauche est devenue depuis mai dernier : au Parlement, c’est un groupuscule le plus souvent muet. Au-dehors, elle se réduit à une guerre d’usure entre les états-majors, en désaccord sur tout : c’est quand il n’y a pas grand-chose à partager, lorsque la pitance est maigre, que les chiens se dévorent entre eux. Métaphore assez facile pour décrire ce qui se passe à gauche depuis que Mitterrand a démissionné de la Fédération.
    La fusion entre le Parti socialiste et les différents clubs dans lesquels se reconnaissent des fractions, des bouts, des parcelles de la gauche, est à l’ordre du jour. Mais comment se fera-t-elle ? Personne n’en sait rien : les socialistes ne veulent pas garantir aux conventionnels une représentation suffisante au bureau politique du futur parti. Et comme Mitterrand, si bas qu’il soit dans les sondages et dans le cœur des Français, ne veut pas se livrer, lui et ses amis, pieds et poings liés aux socialistes de la bonne vieille SFIO, comme il n’ose pas rompre une fois de plus ces pourparlers, il se tait. Et fait durer.

    8 janvier
    Sacré général de Gaulle ! Rien de tel qu’une de ses déclarations pour mettre à feu et à sang le monde politique français. Une fois de plus, personne ne s’y attendait. Au Conseil des ministres d’hier, sans prévenir les ministres (à l’exception tout de même de Couve et de Debré), il a fait un long développement sur l’attitude « inacceptable » et « inqualifiable » d’Israël en matière de représailles, et a recommandé l’embargo sur les livraisons d’armes à Israël !
    La fureur du centre et la surprise de la gauche socialiste à cette nouvelle n’ont pas de mesure. Les gaullistes eux-mêmes en sont estomaqués !

    11 janvier
    Michel Debré est monté au créneau au micro d’Europe 1 pour défendre la position française sur l’embargo. « La stabilité, a-t-il dit, exige aujourd’hui d’aider les populations palestiniennes ! » C’est aller plus loin encore, il me semble, que d’annoncer l’embargo !
    Paul-Marie de la Gorce se réjouit, il me le dit avec force aujourd’hui, que le général de Gaulle reste dans le droit fil de sa pensée, ce qui le rend unique parmi les chefs d’État européens. Pourtant, à côté de lui et des gaullistes de gauche dans leur ensemble, combien de gaullistes font grise mine devant les propos du Général et de Michel Debré ?

    13 janvier
    Voilà peut-être, autour de la polémique entre les CDR et Edgar Faure, l’explication qui manquait. Hector de Galard, dans Le Nouvel Observateur , accuse en quelque sorte Georges Pompidou d’être à l’origine de l’opération menée contre Edgar Faure par les CDR. Au-delà de lui, ce serait Couve ou même le Général qui seraient visés. Hector de Galard fait un parallèle éloquent entre les termes employés dans le texte du CDR dijonnais et l’adresse de Georges Pompidou à ses électeurs du Cantal, dans lequel il porte un jugement sévère et très pessimiste sur la situation. Il ne fait aucun doute pour l’éditorialiste de l’ Observateur , qui connaît bien les proches de Pompidou – Olivier Guichard et Roger Frey –, que celui-ci agite les milieux politiques et financiers.
    La vérité oblige cependant à dire que Pompidou, dans ce cas, n’est pas seul à attiser les feux. Je tombe aujourd’hui sur une interview de Michel Poniatowski, secrétaire général des Indépendants, alter ego de Valéry Giscard d’Estaing, dans la revue L’Économie , où il dénonce « les désordres, les demi-échecs et les erreurs dans la manière de gouverner » ! Il cite comme exemple, entre autres, le fait de prôner la stabilité des prix en augmentant les impôts, ou de vouloir mobiliser l’épargne en chassant les capitaux.
    Comme par hasard, il prend des exemples financiers : Giscard ne digère toujours pas son éviction du ministère des Finances !

    15 janvier
    Couve, rudement ennuyé par une des petites phrases de Joël Le Theule 3 sur « les influences israéliennes » qui « s’exerceraient sur les milieux proches de l’information », a reçu hier les journalistes à Matignon pour les réconforter. Il l’a fait à sa manière, suavement, presque naïvement : « Ce n’est injurieux pour personne, a-t-il dit, car, des influences, il y en a un peu partout ! »

    Plus important : au bureau politique du groupe UDR,