Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Georges Dayan. Je pleure dans les allées du cimetière Montparnasse où il a été enterré ce matin. Mitterrand me croise, ouvre les bras, m'embrasse. Jamais je n'ai vu, de lui, ce regard, cette détresse. Ce que j'aimais chez Georges Dayan, et que Mitterrand ne retrouvera jamais plus, c'est à la fois cette distance et ce dévouement, cette fidélité et cette ironie.
André Rousselet me raconte pendant l'enterrement que Dayan lui-même, si aimé de Mitterrand qu'il soit, n'était pas épargné, parfois, par ce qu'il appelle l'« insularisation », c'est son expression : ainsi Mitterrand ne lui avait-il pas parlé de son alliance avec le Ceres, au congrès de Metz.
Un peu plus tard. Je reviens sur Mitterrand et Dayan. Parce qu'il est minuit et que je ne pense à rien d'autre qu'au chagrin, à la douleur que j'ai décelés tout à l'heure dans le regard de Mitterrand. C'est que l'homme de qualité, le généreux, l'ironique, c'était naturellement Dayan. L'autre image de Mitterrand, son miroir. Sans miroir brisé, Mitterrand existe-t-il vraiment ? Oui, bien sûr. Mais il sait (le sait-il ?) que Dayan est mort d'avoir vécu les passions de Mitterrand, ses échecs, ses réussites, ses sommets et ses abîmes. Dayan est mort d'avoir aimé Mitterrand.
J'ajoute qu'il a aimé Mitterrand d'un amour que j'aime : je veux dire ni servile, ni courtisan ; il était dévoué et attentif. Il était là et savait se rendre transparent. Présent et retranché, amical et réservé. Passionné et critique.
Tout ce que j'écris ici, Mitterrand le sait : il sait quel prix accorder aux sentiments que Georges Dayan avait pour lui. Il ne les retrouvera pas de sitôt, il ne les retrouvera sans doute jamais.
Cela, bien sûr, ne nous le rendra pas. Je m'émerveille ce soir de ce que ces gens – Dayan, Rousselet... – aient noué avec moi des liens que ni le temps ni le journalisme n'ont jamais cassés. Je m'émerveille qu'ils m'aient accueillie lorsque j'avais vingt ans, sans argent, sans relations, sans fortune et même sans métier. Je n'oublierai jamais ce premier jour où, pour un article promis, à la pige, à Combat , j'ai arraché à Mitterrand sa première interview depuis l'affaire de l'Observatoire. C'était à Royaumont, à l'occasion de je ne sais quel colloque. Mon article a fait la une, je crois, du journal. Dayan était déjà là.
1 er juin
En voyage avec Michel Debré, quelques jours avant le scrutin européen. Lorsqu'il prend la parole après Marie-Madeleine Dienesch, Miossec et Guermeur, j'ai du mal à reconnaître, dans l'orateur emphatique, le Debré que je connais, celui qui m'a écrit sur la fierté d'une nation et la liberté des êtres. Il ne s'y trompe d'ailleurs pas, car à peine descendu de la tribune où il vient de s'exprimer avec flamme et sincérité, il me dit : « Il est temps que cette campagne s'arrête, car elle tourne à la comédie. »
Sent-il que sa campagne, plus largement celle du RPR, ne mord pas ? Sent-il que celle de Simone Veil est plus chaleureuse, moins dogmatique que la sienne ?
2 juin
À huit jours des élections européennes, il est temps de refaire le point sur cette bizarre campagne. Premier point : ce n'est pas une campagne mobilisatrice. Ici et là, en province, les salles n'ont jamais été aussi remplies que les organisateurs l'espéraient. Ce phénomène a touché tous les leaders sans exception : à Toulon, pour une des premières réunions publiques de Simone Veil, l'affluence était réellement moins forte que je m'y attendais.
Très vite, nous nous sommes aperçus, nous, les journalistes accompagnateurs qui, depuis trois semaines, volons en Mystère 20 d'une ville à l'autre dans le sillage des têtes de liste, que Chirac n'a jamais fait le plein des salles, que parfois les socialistes n'étaient pas présents au rendez-vous que leur fixaient leurs leaders.
Certes, il y a eu les grandes fêtes : celle organisée par le Parti socialiste, la semaine dernière, au Trocadéro, où, face à la tour Eiffel, dans les jardins, une foule immense a écouté dans le silence et avec passion la Symphonie fantastique de Berlioz. La fête organisée aujourd'hui à Bagatelle par le RPR, à laquelle assisteront, paraît-il, 100 000 militants venus en autocars de toutes les régions de France. Mais je suis tentée de dire que c'est justement parce que les meetings traditionnels ont été décevants, qu'ils ne touchent que les convaincus et n'apportent donc pas
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